Le Rajasthan est souvent associé aux terres arides du désert du Thar. Ce que l’on sait moins, c’est que le pays des rois est traversé par la chaîne de montagnes Aravalli qui, pendant la mousson est merveilleusement verdoyante. Banswara, située à l’extrême sud du Rajasthan, se love justement aux creux de ces monts luxuriants qui accueillent des pluies abondantes : cela lui a valu le surnom de « Cherrapunji du Rajasthan ». Outre sa richesse naturelle, la cité possède une entité distincte liée à la communauté Bhil, l’ethnie majoritaire de la région, qui lutta ici même contre le système féodal des maharawals et le Raj britannique.
« Banswara, la terre du peuple Bhil ». Ce titre n’a pas été choisi au hasard. C’est mon hommage au peuple Bhil et, plus généralement, aux peuples autochtones, appelés « Adivasi » (peuples premiers) en Inde.
On le sait, les aborigènes, que ce soit en Inde ou ailleurs, ont été et sont encore victimes de discriminations répétées. Certains courbent l’échine, d’autres au contraire luttent pour faire valoir leurs droits. C’est le cas du peuple Bhil du Rajasthan.
Au début du 20e siècle, sous la houlette de Govind Guru, un réformateur social du Gujarat, ils se soulèvent, non seulement contre l’oppression du Raj britannique, mais aussi contre les princes locaux : ils refusent de se soumettre au travail forcé et de payer des taxes foncières exorbitantes sur leurs propres terres.
Le 17 novembre 1913, alors qu’ils s’étaient rassemblés sur la colline de Mangarh, centre de leur foi, les britanniques, en représailles, firent feu sur la foule et tuèrent 1 500 d’entre eux. Ce massacre, faisant écho à celui d’Amritsar, est également connu sous le nom de « Jallianwala Bagh » du Rajasthan. Cependant, contrairement à la tuerie du Pendjab, celle-ci n’a jamais été reconnue par les Britanniques et ne figure pas non plus dans les livres d’histoires indiens. Les peuples tribaux, seraient-ils considérés comme des citoyens de seconde zone ?
En mémoire de ce massacre de 1913, un monument a été édifié sur la colline de Mangarh, devenue en quelque sorte un symbole de l’identité tribale.
Après cette petite parenthèse historique, partons à la découverte de la région de Banswara…
Avant d’arriver à Banswara, plusieurs haltes valent le coup d’oeil.
Les photos de ce temple du 12e siècle sur le web étaient prometteuses… Mais, entre temps, un crime architectural a été commis en ces lieux ! Sur la partie supérieure du temple et à l’intérieur du sanctum sanctorum, les vieilles pierres patinées ont été colorisées dans des tons pastel qui donnent au temple une allure de pâtisserie édulcorée, ah quel dommage !
L’édifice n’ayant pas été classé monument historique par « l’Archaeological Survey of India », il semble que les habitants du coin aient pris quelques libertés avec la rénovation du temple.
Heureusement, l’ambiance sympathique à l’intérieur du sanctuaire avec ses sadhous et villageois typiques sauve la mise. Le prêtre brahmine enfile même la casquette de guide et nous montre certains détails de l’édifice.
Aux quatre coins du temple, de belles statues sont sculptées dans la pierre, sauvées de justesse de la folie peinturluresque. Près de l’entrée, une plaque portant des inscriptions en sanscrit nous rappelle l’ancienneté du temple.
Nous continuons sur la même route et tombons sur un lieu mystérieux : une grotte de 400 m de profondeur où coule une source aux eaux couleur jade. La légende populaire veut que le seigneur Rama, sa femme Sita et son frère Lakshmana s’y soient arrêtés pour se reposer pendant leur exil de 14 ans.
La grotte, en plus de son plan d’eau, possède plusieurs petits temples, le principal étant celui dédié à Shiva où les villageois des environs viennent offrir leurs prières.
Toujours sur la même route, près de Talwara, on trouve le temple de Tripura Sundari Ma, un des sanctuaires les plus vénérés de la région.
Il est dédié à la Shakti, la Mère Divine, représentée par une statue en schiste noir de Durga avec dix-huit bras armés assise sur son tigre-véhicule (Vahana). Si la structure du temple est récente, les fondations, elles, seraient antérieures à la dynastie Kushan qui régna au 1er siècle de notre ère.
Nous poursuivons notre route accompagnés de paysages splendides qui ressemblent parfois à s’y méprendre à une carte postale typique du Kérala. Nous traversons Talwara.
Talwara est un large village réputé pour ses sculpteurs sur marbre ; plusieurs se sont établis sur la route principale en direction de Banswara. On y trouve aussi quelques temples intéressants, celui d’Amaliya Ganesh notamment.
Nous arrivons à Banswara. La ville en elle-même n’offre guère d’intérêt. Il y a bien un fort tout en haut de la cité qui là aussi semble très impressionnant sur les photos, mais qui est en réalité laissé à l’abandon. Je n’ai pas pu y entrer. Les habitants eux-mêmes avouent ne jamais l’avoir visité.
L’atout principal de Banswara est son environnement naturel constitué de lacs, de cascades et de forêts denses. Pour cette raison, la meilleure saison pour s’y rendre est pendant la mousson, de juillet à septembre quand Mère Nature s’enveloppe d’un long manteau vert tendre.
Situé sur la partie orientale de la ville, le Kagdi Pick-up est composé d’un grand lac où de nombreux oiseaux migrateurs viennent s’y reposer. C’est un lieu familial et, mis à part son arche d’entrée, le lieu n’est pas une halte incontournable.
Au nord-est de la ville, à flanc de colline, un temple dédié à Shiva a été creusé dans la montagne. Un imposant Shiva-lingam est posé au milieu de la grotte.
Lors du Kanwar Yatra, un pèlerinage annuel dédié à Shiva (en juillet ou août), des fidèles rapportent de l’eau bénite du Gange de la ville d’Haridwar ou de Gangotri, qui est offerte au lingam de Madareshwar.
La perle de Banswara ! « Chacha Kota » est un lieu enchanteresque situé à une quinzaine de kilomètres de la ville. Cette région parsemée d’îlots, s’est formée autour du marigot de la rivière Mahi, qui s’étend sur une distance de quarante kilomètres. En raison de cette particularité, Banswara est aussi surnommée « la ville aux cent îles ».
Pour atteindre Chacha Kota, nous devons prendre une route qui sinue et zigzague à travers plusieurs collines ; la quinzaine de kilomètres semble se rallonger.
Mais le jeu en vaut la chandelle ! La côte découpée de ce qui ressemble à une mer et le vert intense des collines est de toute beauté et évoque parfois les paysages sauvages des Highlands de l’écosse. Le panorama est si captivant que je suis prise d’une frénésie photographique qui met à mal la patience des personnes qui m’accompagnent.
Alors que je m’arrête pour la énième fois pour admirer ce paysage de rêve, ponctué de maisons isolées en terre, un garçon et ses deux jeunes sœurs de la communauté Bhil viennent timidement à ma rencontre, et voilà, c’est la photo ci-dessus !
En continuant sur la même route, on tombe sur le barrage de Mahi Bajaj Sagar qui est le plus grand réservoir d’eau de la division d’Udaipur. Je n’y suis pas allée, priorité aux merveilles de la région de Singpura.
Singpura est l’autre trésor de la région de Banswara, situé au sud de la ville et composé de forêts et de vallées verdoyantes.
Le but principal de la visite est la cascade de Singpura, en haut de la région, toute une aventure !
Le GPS est aux abonnés absents et nous devons demander notre chemin plusieurs fois aux villageois du coin qui nous répondent en hindi mélangé au dialecte local. C’est une belle occasion de venir à la rencontre des habitants et de partager quelques moments précieux avec eux.
Après plusieurs retours sur nos pas, nous finissons par arriver au lieu tant espéré.
La voiture s’arrête là. Nous devons continuer à pied. Le point de départ est un petit lac entouré d’une forêt épaisse. Nous demandons notre chemin à un garçon dont la maison se trouve au bord du plan d’eau : il nous reste 2 kilomètres de marche à travers la jungle avant de découvrir la cascade.
La mousson ayant été pauvre cette année, la cascade n’a qu’un maigre filet d’eau. Je poste ici la photo d’un internaute montrant la cascade dans toute sa splendeur.
La région de Banswara comprend d’autres cascades, à voir aussi pendant la mousson : Jua, Kagdi, Kadeliya, Bhuadara, Jhulla et Kushalgarh.
À une cinquantaine de kilomètres de Banswara, les temples antiques d’Arthuna sont une destination incontournable de la région. Construit aux 11e et 12e siècles EC par les souverains de la dynastie Parmar, qui avait fait d’Arthuna leur capitale, le complexe rassemble des sanctuaires de la foi hindoue et jaïne.
Le temple majeur est celui de Mandleshwar Shiva (1080 EC), construit par Raja Chamundaraj à la mémoire de son père, Raja Mandalik. Il est encore en activité et les habitants le visitent quotidiennement pour lui offrir leurs prières.
Si vous êtes dans la région de Banswara / Dungarpur en janvier-février, ne manquez pas la foire de Baneshwar, surnommée aussi la « Kumbh Mela des Bhils », qui a lieu pendant 5 jours sur un petit delta formé par les rivières Soma et Mahi. Fête religieuse avant tout, elle est le rendez-vous annuel des différentes communautés Bhils…
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Namasté
Votre site est une mine de découvertes! Encore des lieux que j’aimerais inscrire à mon futur séjour au Rajasthan. Un grand merci pour nous faire partager vos expériences et …rêver en attendant que les voyages soient de nouveau possibles.
Cordialement
Chantal
Bonjour à nouveau Chantal, un grand merci pour votre message :). C’est en effet bon de rêver en attendant la réouverture des frontières ! Namaskar, Mathini