Souvent éclipsée par ses voisines du Rajasthan, la cité de Kotah, au sud de Bundi, recèle pourtant des trésors insoupçonnés. Son palais, perché sur un promontoire rocheux, abrite des fresques de toute beauté, mais c’est pendant le festival de Dussehra que la ville révèle toute sa magie. Kotah se transforme alors en un kaléidoscope de couleurs, de musiques et de ferveur religieuse, offrant une expérience culturelle vibrante et inoubliable à ceux qui s’y aventurent.
J’ai découvert Kotah lors du festival de Dussehra qui est l’un des plus connus du Rajasthan. Ce jour-là, des dignitaires, parés de leurs plus beaux atours, se pressaient à l’invitation du Maharaja dans le jaleb chowk, la cour extérieure du palais de Kotah (Garh Palace). Leurs turbans, tissant une farandole de couleurs, ajoutaient une touche magique au lieu.
Posée sur la rive droite de la rivière Chambal, Kotah est le cœur du sud-est du Rajasthan, dans une région surnommée Hadauti – la « terre des hadas ». Le nom de la région vient des Hadas, une branche importante du clan Chauhan des Rajpoutes Agnikula, qui ont historiquement régné sur cette terre.
La tradition veut que les fondations du palais aient été posées pour la première fois en 1264 de notre ère. L’histoire raconte que le Prince Jait Singh de l’État de Bundi aurait sacrifié le chef de la tribu Bhil, Koteya (l’ancien souverain de la région), et enterré sa tête coupée à cet emplacement, marquant ainsi symboliquement la prise de contrôle du territoire.
Kotah faisait initialement partie de l’État de Bundi. En 1624, la ville est officiellement devenue un État séparé sous le règne de Rao Madho Singh. C’est à partir de cette période que le développement du palais prendra une nouvelle ampleur, chaque souverain ajoutant sa touche personnelle.
L’accès actuel au complexe palatial se fait par le Naya Darwaza (nouvelle porte), une imposante construction érigée au début du 20e siècle par le Maharao Umed Singh II. Dominant une rue très fréquentée de Kotah (la Tipta Chauraha), cette structure est couronnée par le Hawa Mahal (le palais du vent) doté de vérandas, de balcons et de jalis finement sculptés (moucharabiehs), qui permettaient aux femmes du palais d’observer l’agitation de la ville sans être aperçues.
Une fois passée cette porte fortifiée, on découvre l’ampleur de l’ensemble : le palais s’inscrit au sein d’un vaste complexe fortifié avec des remparts et tourelles, combinés à d’épaisses murailles concentriques.
Une rampe pavée mène directement au palais royal construit sur un affleurement rocheux surplombant la rivière Chambal.
Le Garh Palace offre une collection harmonieuse de palais et de cours intérieures. Ponctué de balcons élégants (les jharokhas), de jalis et de dômes gracieux, il incarne à merveille l’essence de l’architecture rajpoute.
À la différence des autres palais royaux, la particularité du Kotah Garh réside dans son architecture modeste. Cette simplicité s’explique par les préceptes de la Vallabha Sampradaya, la branche de l’hindouisme à laquelle la famille régnante de Kotah adhère. Cette tradition promeut une dévotion intense et une relation personnelle avec le Seigneur Krishna, en valorisant le service désintéressé (Seva).
En 1719, le Maharao Bhim Singh I, rapporta à Kotah l’idole dorée de Sri Brijnathji et l’installa dans le palais. Depuis lors, elle est la Kul Devta (la divinité tutélaire) de la famille de Kotah et la divinité principale du panthéon local.
L’accès au palais se fait par la « hathi pol », ou « porte des éléphants », ainsi nommée en raison des deux sculptures d’éléphants flanquées de chaque côté en haut de l’entrée ; ils symbolisent la force, la royauté et la bonne fortune.
À la base de la porte, une scène capte le regard : les gardiens ne sont autres que des gardiennes. La peinture met en scène deux femmes rajpoutes, les armes à la main. Cette représentation déroge à l’imagerie habituelle des guerriers masculins, offrant une vision puissante et inattendue de la force féminine.
Cette symbolique de la puissance feminine est magnifiquement renforcée par l’image de la déesse guerrière Durga déployée sur le plafond de la hathi pol. Les couleurs dominantes, l’or, le rouge, le vert et le bleu, créent une fresque vibrante, rehaussée de motifs floraux délicats qui encadrent la divinité.
En face de l’entrée, la force de la Shakti, incarnée par Durga et les guerrières, trouve son équilibre divin. Un temple dédié à Shiva abritant deux lingams de pierre sont paisiblement installés sous un arbre. Cette juxtaposition crée une harmonie spirituelle, où l’énergie féminine créatrice et protectrice est complétée par l’énergie masculine de la transformation et de la destruction, offrant un puissant équilibre au cœur du palais.
Passé la hathi pol, une vaste cour s’ouvre sur plusieurs petits palais. Bien que l’architecture extérieure du palais soit sobre, ses fresques intérieures sont d’un raffinement époustouflant.
Initialement, les peintures de Kotah (Kota Kalam) étaient très proches du style de Bundi. Cependant, la peinture de Kota a commencé à développer un style distinctif sous le règne de Rao Jagat Singh (17e siècle). En raison des liens étroits entre Kota et l’empire Moghol, on observe des éléments du style moghol (comme le réalisme, la profondeur, et la perspective) s’intégrer aux miniatures de Kotah. Elle se distingue aussi par ses couleurs vibrantes et l’utilisation de cadres autour des compositions, similaires à ceux des miniatures sur papier.
Le Bada Mahal que l’on visite en premier arbore de vraies oeuvres d’art racontant une multitude d’histoires : des scènes de la vie royale, des expéditions de chasse, des processions grandioses, des motifs floraux et fauniques minutieux, et des épisodes de la mythologie hindoue, en particulier ceux liés au Seigneur Krishna. Quant au bas des murs, il est sculpté dans le marbre blanc de motifs floraux moghols.
Les chambres royales témoignent d’une opulence immense avec des incrustations d’or, des plafonds sculptés, des fenêtres et portes incrustées de pierres précieuses.
Quant au Zenana Mahal (les quartiers des dames), il présente un travail de miroiterie exquis sur les murs et les plafonds, créant un effet éblouissant lorsque la lumière s’y reflète.
La palais abrite aussi le musée Rao Madho Singh qui présente des peintures miniatures de l’école de Kotah des collections d’armes, de textiles, d’œuvres d’art et d’insignes royaux.
Parmi toutes les œuvres exposées, c’est la statue grandeur nature d’un éléphant royal qui retient le plus l’attention.
Dussehra est sans conteste le meilleur moment pour visiter Kotah qui, ce jour-là, déborde d’une énergie et d’une effervescence contagieuses.
Ce festival célèbre la victoire symbolique du bien sur le mal : celle du Seigneur Rama sur le démon Ravana, et de la déesse Durga sur le démon Mahishasura. EN SAVOIR + sur Dussehra.
Dussehra débute au palais de Kota. La cérémonie d’ouverture est un moment privilégié, se déroulant dans la cour extérieure du palais en présence du Maharaja. Des invités triés sur le volet ont l’honneur d’assister à ce spectacle, donnant le coup d’envoi des célébrations.
Après cette ouverture solennelle, le festival prend une toute autre dimension avec une grande parade qui retracent des épisodes emblématiques du Ramayana, l’épopée mythologique indienne. Les chars décorés, les danseurs et les musiciens défilent dans les rues, créant une ambiance électrique et joyeuse. La parade se poursuit jusqu’à atteindre une grande esplanade, où sont dressées des gigantesques effigies de Ravana, Kumbhakarna et Meghnad.
Le point culminant du festival est l’embrasement de ces colosses, dans une explosion de feux d’artifice et sous les acclamations enthousiastes de la foule. C’est un moment de pur liesse !