Dans une Inde en perpétuelle transformation, où les traditions ancestrales cèdent peu à peu le pas à la modernité galopante, le village de Salawas, niché aux abords de Jodhpur au Rajasthan, incarne une résistance silencieuse. Ici, les dhurries, tapis plats tissés à la main, sont bien plus que de simples objets décoratifs : ils sont le reflet vivant d’un savoir-faire ancestral transmis de génération en génération. Chaque fil, chaque motif, chaque couleur raconte une histoire, celle d’un artisanat enraciné dans la culture rajasthanie. À l’heure où l’uniformisation menace les particularismes régionaux, Salawas perpétue l’art du dhurrie avec une fidélité rare, faisant de ce village un bastion précieux de la mémoire textile indienne.
Le dhurrie est un concept à part.
Contrairement aux tapis, les dhurries ne sont pas noués à la main, mais tissés à plats sur des métiers horizontaux ce qui leur donne une texture légère mais solide.
Ils sont souvent faits en coton, parfois en laine, chanvre ou soie et se distinguent par leurs motifs géométriques, leurs lignes épurées et leurs couleurs vibrantes, souvent inspirées de la nature ou de la vie quotidienne dans le désert.
Une autre spécificité est qu’ils sont réversibles.
Dans la région de Jodhpur, le tissage de dhurries est un savoir-faire ancestral. La famille de Pukhraj Ji, figure emblématique d’une famille d’artisans très réputée, perpétue cette tradition depuis le 14e siècle.
A l’origine, les dhurries de Salawas étaient fabriquées à partir de laine de chèvre, de mouton et de dromadaire fournie par la communauté des Rabaris. Au fil du temps, les matériaux ont évolué, et aujourd’hui, le coton est la fibre principale, souvent complétée par de la laine et de la soie.
Traditionnellement, les dhurries étaient tissés à la main par les membres des communautés rurales, dans le cadre familial. Ils étaient conçus pour une grande variété d’usages : tapis de sol, couverture de lit, nappe, voire sac de transport ou de dot pour les Rabaris. Leur légèreté, leur réversibilité, leur résistance à l’usure et leur facilité d’entretien, combinées à une bonne isolation, les rendaient très pratiques.
Les premiers dhurries arboraient principalement des couleurs naturelles (blanc, noir, marron), fidèles aux teintes des laines d’animaux utilisées. Après avoir été filés sur un charkha, les fils sont désormais teints principalement avec des colorants naturels ou végétaux (indigo, curcuma, henné). Cependant, l’usage de teintures chimiques est également courant de nos jours.
Les artisans de Salawas utilisent des métiers horizontaux très simples dans leur conception. C’est une technique de tissage à plat.
Le métier à tisser est maintenu en tension des deux côtés par des poutres (« latha ») ancrées au sol par des pierres.
La chaîne est le fil de base vertical, en coton blanc qui forme la structure du dhurrie. La trame est le fil horizontal, de différentes couleurs et matériaux (coton, laine, soie), qui est inséré à travers la chaîne pour créer les motifs.
L’artisan s’assoit au ras du sol pour travailler, souvent les jambes croisées.
Les fils de trame sont entrecroisés avec les fils de chaîne sans créer de nœuds ni de boucles. Pour les motifs colorés, les fils de trame de différentes couleurs sont entrelacés de manière à ce qu’il n’y ait pas d’espace entre les couleurs, créant une surface lisse et continue. Cette technique permet aux dhurries d’être réversibles, car le motif est identique des deux côtés.
L’outil indispensable pour les dhurries est le « panja » est un sorte de peigne en bois avec des griffes en métal. Il utilisé par le tisserand pour tasser fermement les fils de trame après chaque passage. Cela permet de resserrer le tissage, de rendre le dhurrie dense et de maintenir les motifs nets. Pour cette raison, les dhurries de Salawas sont également appelés « Panja Dhurries ».
Le dhurrie n’était pas seulement un objet fonctionnel : il refléte aussi la culture visuelle et symbolique de la région d’origine. Chaque motif, chaque combinaison de couleurs évoque une identité locale, un statut social ou une signification religieuse. Ainsi, les dhurries du Rajasthan, du Madhya Pradesh, du Tamil Nadu ou de l’Uttar Pradesh présentent chacun des styles distincts.
Salawas est connu pour ses motifs géométriques vibrants et ses couleurs audacieuses, utilisant des teintes de rouges profonds, de jaunes vifs et de bleus éclatants. On y retrouve des formes simples et complexes comme des carrés, des losanges (diamants), des triangles, des cercles, des zigzags et des chevrons
Le tissage est une tradition familiale forte à Salawas, transmise de père en fils, et désormais aussi aux filles. Environ 200 familles du village étaient initialement impliquées dans la production de dhurries.
La majorité des artisans qui tissent ces dhurries appartiennent à la communauté hindoue « Prajapat » qui se reflète dans leur nom de famille. Cependant, des membres de la communauté hindoue Meghwal pratiquent également cet artisanat.
La famille de tisserands la plus connue est celles de Pukhraj ji et de son épouse Dariya Devi. Dans les années 1970, Pukhraj ji a commencé à organiser des safaris dans les villages Bishnoï, ce qui a permis de faire connaître leur artisanat à des personnalités royales et à des hôteliers. Leurs trois fils ont repris la relève et, depuis, les dhurries de Salawas ont acquis une reconnaissance internationale.
Au-delà de ses célèbres dhurries, Salawas offre un aperçu de la culture et de la nature du Rajasthan, notamment à travers sa proximité avec la communauté Bishnoï, une groupe ethno-religieux est profondément respectueux de la nature et de la vie animale.
Chez les Bishnoïs, vous pourrez assister à la cérémonie traditionnelle de l’opium, le « Amal Sabha », une pratique sociale ancienne où l’opium (très dilué) est consommé de manière ritualisée.
(Il est important de noter que si la possession et la consommation d’opium sont illégales en Inde, les autorités ont tendance à fermer les yeux sur ces cérémonies traditionnelles en raison de leurs profondes racines culturelles et qui, de plus, ne procurent pas d’addiction car sont très ponctuelles).
Le village offre aussi la chance d’apercevoir des chinkaras (gazelle indienne) et l’antilope noire indienne (cervicapre) évoluer en toute liberté, un témoignage de la protection dévouée qu’elles reçoivent de la communauté Bishnoï.
Pour compléter la diversité artisanale du village, Salawas compte aussi des potiers qui travaillent la terre avec des techniques traditionnelles.
Salawas est une petite ville, il est donc facile de se déplacer à pied, à vélo ou à moto une fois sur place.
Vous pouvez séjourner dans les nombreux hôtels de Jodhpur (à seulement 1/2 heure de Salawas) mais l’option la plus authentique est de séjourner directement dans les chambres d’hôtes gérées par les familles d’artisans locaux, notamment celles impliquées dans le tissage des dhurries.
Parmi les nombreuses familles accueillantes, celle de Pukhraj ji se distingue en tant que fondatrice du « Chhotaram Prajapat’s Homestay« . Cette maison d’hôtes unique propose des huttes traditionnelles confortables et une hospitalité inégalée. Les visiteurs peuvent y savourer d’authentiques repas rajasthanis, cuits au feu de bois. L’hiver dernier, j’ai eu le plaisir de goûter leurs délicieuses bajra ki roti (galette de millet) et leur succulent haldi ki sabzi (curry de curcuma).
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