Jhunjhunu, entre dévotion et splendeur oubliée

Jhunjhunu est le siège administratif du Shekhawati, une région culturelle réputée pour ses maisons palatiales ornées de somptueuses fresques. Après avoir été le centre de diverses dynasties, allant des Chauhans aux Nawabs, la cité est aujourd’hui principalement célèbre pour l’imposant temple de Rani Sati. Ce lieu de culte majeur attire annuellement des milliers de dévots venus des quatre coins de l’Inde.


Chauhans, Nawabs & Shekhawat


L’histoire de Jhunjhunu est une succession de dominations influentes, débutant avec le règne des rois Chauhan à partir de 1045, le premier souverain connu étant Sidhraj Chauhan.

Miniature du Nawab Rohilla Khan | domaine public

En 1450, les Chauhans furent défaits par les Nawabs Kayamkhani (ou Quaimkhani), descendants de Mohammed Ali Khan dont le père, Karamchand (initialement un rajpoute Chauhan), s’était converti à l’Islam, marquant une ère qui dura jusqu’en 1730. C’est à ce moment que le Thakur Shardul Singh Shekhawat, diwan du dernier Nawab Rohilla Khan, prit le contrôle de la ville, mettant fin à la domination des Nawabs.

Le fort de Jhunjhunu maintenant désert

Après sa mort en 1742, le domaine fut divisé entre ses cinq fils, formant le « Panchpana », et les descendants Shekhawat continuèrent de régner jusqu’à l’indépendance de l’Inde en 1947.

Fresque d’un officier | haveli Modi

Parallèlement à ces changements dynastiques, Jhunjhunu, située dans le Shekhawati, a prospéré grâce à ses riches familles de marchands (les Marwaris) qui ont laissé un patrimoine architectural impressionnant sous la forme de nombreuses havelis.


Temple de Rani Sati


Le temple de Rani Sati est un lieu de dévotion dédié à Narayani Bai, affectueusement appelée Dadi Ji (grand-mère) par ses fidèles, et vénérée comme une incarnation de la déesse Durga. Il commémore son acte du « Sati » (auto-immolation sur le bûcher funéraire du mari).

Jhunjhunu
L’entrée du complexe de temples de Rani Sati

Le Sati (du sanskrit signifiant « véritable » ou « juste ») était une pratique funéraire historique observée principalement dans le nord de l’Inde et au Rajasthan. Elle consistait pour une veuve à s’immoler volontairement sur le bûcher funéraire de son mari décédé. L’acte était idéalisé comme la preuve ultime de la dévotion conjugale, la veuve étant vénérée comme une déesse (Sati Maa), bien qu’il ait souvent été motivé par la contrainte et la pression sociale. Le Sati fut officiellement interdit en Inde en 1829 et est aujourd’hui strictement illégal en vertu du Commission of Sati (Prevention) Act, 1987, suite à des cas modernes isolés. Malgré cette interdiction, les temples associés à cette pratique continuent d’attirer la dévotion hindoue.

Jhunjhunu
L’immensité du temple

La légende de Narayani Bai (ou Dadi Ji), vénérée au temple de Rani Sati, se déroule le plus souvent vers 1590 (ou entre le XIIIe et le XVIIe siècle). Narayani était l’épouse de Tandhan Das, un riche commerçant. L’histoire raconte que Tandhan Das, ayant refusé de céder son cheval à un prince (le fils du roi de Hisar), fut provoqué et tué, soit par le roi vengeur après un duel, soit par des bandits (dacoits).

Jhunjhunu
La seconde entrée de Rani Sati

Témoin de la mort de son époux, Narayani Bai fit preuve d’une bravoure exceptionnelle, combattant et tuant elle-même le responsable. Elle s’est ensuite auto-immolée sur le bûcher funéraire de Tandhan Das, accomplissant l’acte de Sati (pratique aujourd’hui interdite en Inde). En raison de son courage et de son sacrifice, elle fut déifiée et est maintenant vénérée comme un symbole de la force féminine (Shakti), se voyant attribuer le titre de « Rani » (reine).

Jhunjhunu
Les douze plus petits sanctuaires dédiés à d’autres veuves de la même famille | Photo : temple Rani Sati

Le complexe actuel, de style colonial-rajpoute, fut construit principalement entre 1936 et 1937. Il se compose du grand temple principal, inauguré comme mémorial dès 1912, et de douze sanctuaires plus petits dédiés à d’autres veuves du clan Jalan des Aggarwal ayant accompli le Sati après 1762.

Jhunjhunu
Le saint des saint avec le trishuli | Photo : temple Rani Sati

L’originalité du saint des saints réside dans son absence d’idoles traditionnelles. Au lieu de statues du panthéon hindou, les fidèles vénèrent un Trishul (trident), qui incarne le pouvoir et la force (Shakti). Le haut des murs est rehaussé de fresques qui racontent les histoires de Rani Sati.


Les havelis de Jhunjhunu


Comme toute la région du Shekhawati, la ville de Jhunjhunu témoigne de son âge d’or révolu, période durant laquelle les riches marchands Marwaris firent bâtir de somptueuses demeures, véritables reflets de leur opulence et de leur succès commercial.

Entrée de l’haveli Modi & Tibrewal

Parmi ces demeures, l’Haveli de Modi & Tibrewal se distingue particulièrement. Située au cœur du bazar principal, elle constitue en réalité une paire de résidences se faisant face, dont les fondations dateraient de la fin du 16e siècle.

Jhunjhunu
Un des plafonds de l’haveli

Ces deux havelis sont réputées pour la finesse de leurs fresques murales encore bien préservées avec leurs peintures d’origine faites à partir de pigments naturels. Les familles Modi et Tibrewal, issues de la communauté des Marwaris, ont joué un rôle prépondérant dans l’histoire économique et l’épanouissement architectural de Jhunjhunu et de l’ensemble du Shekhawati.

Merveilles picturales de l’antichambre de l’haveli : Shiva & Parvati et Krishna & Radha

L’antichambre est un chef-d’œuvre de raffinement : des fresques de Shiva et Parvati, ainsi que de Sri Krishna et Radha, ornent les murs latéraux. Le plafond, quant à lui, est orné d’une fresque magistrale dépeignant la « Raas Lila », la danse mystique et extatique de Krishna et des gopis, qui symbolise l’union de l’âme individuelle avec le divin. Cette scène est rehaussée par la présence d’anges célestes qui la survolent, illustrant encore une fois le syncrétisme artistique caractéristique des havelis du Shekhawati.

Jhunjhunu
La sublime fresque représentant la Raas lilas dans l’antichambre

Les passages voûtés complètent les fresques par un spectacle d’une grande richesse avec de belles incrustations de miroirs et de carreaux de verre conférant un éclat scintillant aux surfaces architecturales. Des miniatures de personnages sont disposées dans des médaillons illustrant divers aspects de la vie courante.

Les incrustations de carreaux de verre sur les voûtes | En haut au centre : représentation d’un marchand Marwari
Jhunjhunu
Miniatures de personnages et incrustations de miroirs et de verre sous une des voûtes

La décoration de la cour intérieure, quant à elle, suit une organisation thématique claire : la frise supérieure est réservée aux divinités pour symboliser le domaine céleste, la bande médiane est dédiée aux humains pour représenter le monde terrestre, et la partie inférieure est ornée de motifs floraux, évoquant le règne végétal.

Jhunjhunu
Une des fresques de la cour arrière de l’haveli

Autres visites intéressantes de Jhunjhunu


Le Mertani Ji Ki Baori


Tout juste rénové, le Mertani Ji Ki Baori, est un imposant baori (puits à degrés) nommé d’après Mertani, l’épouse du roi Shardul Singh. Construit au 18e siècle, il reflète à la fois la générosité royale et la nécessité pratique de l’ingénierie hydraulique dans cette région aride. L’architecture est caractérisée par ses escaliers symétriques qui descendent profondément sous la surface, sur plusieurs étages, permettant d’accéder à l’eau quelle que soit la saison, tandis que les paliers intermédiaires et les niches servaient autrefois de lieux de repos sociétales.

Jhunjhunu
Le Mertani Ji Ki Baori

Le temple de Bihariji 


Situé au coeur de la vieille ville, le temple de Bihariji se présente comme un remarquable témoin de l’art du Shekhawati, ayant été érigé en 1776 (Samvat 1833) par l’influent mécène local, Seth Malalidatt Shah de Khetri. Dommage que l’attrait du temple soit nuancé par l’accueil peu chaleureux du nouveau pujari (prêtre) !

Shikara du temple de Bihariji

Artistiquement, l’intérieur est dominé par des fresques centrées sur le culte de Sri Krishna. Elles immortalisent des épisodes clés de sa vie divine aux côtés des gopis, incluant notamment ici aussi une exécution de la « Raas Lila ».

Vue de l’extérieur du sanctuaire principale | Picxy.com/saurabhchatterjee

Toutefois, l’originalité du temple de Bihariji réside dans l’intégration de thèmes séculiers : on y découvre des fresques historiques et sociétales rares, détaillant avec finesse la cour du Roi Shardul Singh de Jhunjhunu et de ses cinq fils, offrant ainsi une juxtaposition intéressante entre la dévotion mythologique et la chronique de la noblesse régionale.

Plafond du temple avec la danse Raas Lila et des scènes de la vie de Sri Krishna | Picxy.com/saurabhchatterjee

Ketri Mahal


Bien que le Khetri Mahal soit aujourd’hui en grande partie en ruine et qu’il soit passé dans le domaine privé, il vaut toujours la peine d’être visité pour son architecture unique, sous réserve d’obtenir au préalable l’autorisation des nouveaux propriétaires.

Jhunjhunu
Les vestiges du Ketri Mahal

Construit vers 1770 par le Raja Bhopal Singh, il est également connu comme le « palais des vents de Jhunjhunu » ; c’est un exemple emblématique de l’architecture des havelis du Rajasthan, dont la conception est spécifiquement pensée pour optimiser la circulation de l’air.

Un ensemble de voûtes créant un environnement naturellement ventilé

Ses grandes salles sont soutenues par des arches élégantes de style rajpoute, et de nombreuses pièces communiquent entre elles par des portails voûtés plutôt que des portes, créant un environnement naturellement ventilé. La Ketri Mahal est d’ailleurs considéré comme le modèle qui a inspiré la construction du célèbre Hawa Mahal (palais des vents) de Jaipur, bâti quelques années plus tard.

A voir avant que l’ouvrage ne tombe totalement en désuétude et pour sa vue sur le fort de Jhunjhunu.


Le mausolée de Hazrat Qamaruddin Shah


Le dargah Hazrat Qamaruddin Shah est un important sanctuaire soufi. Il abrite la tombe du saint musulman Qamar ud-Din Shah (1784-1859). Ce site est un puissant symbole d’harmonie interconfessionnelle, car sa construction au milieu du 19e siècle fut financée par les souverains hindous locaux. Le complexe comprend le tombeau coiffé d’un dôme blanc, une mosquée et une madrassa.

Jhunjhunu
Le tombeau de Hazrat Qamaruddin Shah | Picxy.com/saurabhchatterjee

Le mausolée est également célèbre pour l’amitié légendaire qui unissait Qamar ud-Din Shah à un saint hindou, Sri Baba Chanchal Nath. Cette amitié a donné lieu à une tradition où les communautés célèbrent les fêtes religieuses de l’autre, notamment en allumant des diyas (lampes à huile) dans le dargah lors de la fête de Diwali.

Les fidèles de dargah déposent des diyas lors de Diwali témoignant de l’aspect interconfessionnel du lieu

Il est cependant regrettable que les fresques d’origine aient récemment été effacées (à jamais) par des peintures criardes. Cette dégradation témoigne encore une fois du manque de considération pour le patrimoine local, la région semblant méconnaitre l’étendue de sa propre richesse.

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