Dussehra, qui se traduit par « le dixième jour », est une fête hindoue célébrée avec une grande ferveur dans toute l’Inde. Elle symbolise la victoire du bien sur le mal. Ce jour marque la fin de Navaratri, la période de « neuf nuits » également dédiée au culte de la déesse Durga et de ses neuf formes. Dans la région de Deogarh, près de Rajsamand au Rajasthan, ces célébrations revêtent un charme unique. Elles sont profondément influencées par la culture locale Mewari et se déroulent dans le cadre spectaculaire des monts Aravalli, offrant une ambiance festive à la fois pieuse et ancrée dans la beauté naturelle de la région.
Visiter Bagatpura, le village de l’haveli «Deogarh Hills», était un souhait de longue date. Rohitashva Singh Chundawat, son propriétaire, m’avait souvent invitée à découvrir sa demeure. En tant que professionnelle du voyage, j’explore toujours les lieux avant de les proposer à mes voyageurs.
Le festival de Navaratri s’est présenté comme l’occasion idéale. Fascinée par les photos de l’événement partagées sur le compte Instagram de la maison d’hôtes, j’ai tout naturellement saisi l’opportunité d’accepter une invitation à y assister.
Les festivals indiens en milieu rural ont une saveur unique, on y retrouve l’essence même de ces célébrations ancestrales. C’est le cas de Navaratri qui célèbre la Shakti et dont les rites puisent leurs racines dans d’anciens cultes animistes. Les civilisations indigènes de l’Inde, des peuples de la vallée de l’Indus aux populations dravidiennes, vénéraient déjà des déesses mères et des divinités de la nature.
La Shakti est une force vivante qui s’intègre directement au quotidien des villageois. Presque chaque village possède sa propre déesse mère tutélaire, surnommée « Gram Devi » ou « Gram Mata ». Ces déesses sont vénérées comme les protectrices du village et de ses habitants, les préservant des maladies, des catastrophes naturelles et des mauvais esprits.
Sur la route des collines de Deogarh, l’ambiance de Dussehra était déjà palpable. Je croisai plusieurs groupes de villageois marchant au bord de la route, portant les fameux pots ou paniers de graines germées et le feu sacré (dhuni). Mon chauffeur s’est patiemment arrêté à plusieurs reprises pour me permettre de capturer ces scènes.
Les graines germées sont issues du rituel du Ghatasthapana, qui ouvre la période de Navaratri. Ce rite consiste à planter des graines d’orge dans un pot de terre. Le pot, nommé Kalash, représente la fertilité et le renouveau et il est placé au cœur du culte pendant les neuf jours du festival.
Le dhuni est un rituel de purification par le feu et fumée sacrés qui symbolise le « yoni » (le vagin) et est associé au culte de la Shakti.
Après m’être installée et avoir fait le tour du propriétaire, je partis avec Rohitashva Singh vers le temple qui allait accueillir les dernières festivités de Navaratri. Il est dédié à la déesse Chamunda, associée à la destruction du mal. Elle est connue pour son apparence redoutable et est étroitement liée à d’autres déesses guerrières comme Kali et Durga.
L’activité était encore faible, les cérémonies devant commencer en soirée pour se poursuivre toute la nuit. J’eus l’occasion de faire la connaissance des habitants, à la fois curieux et excités, en particulier les enfants, amusés par la présence d’une « gauri » (une étrangère).
Après un rapide retour à l’hôtel pour nous restaurer, nous sommes retournés au temple, juste à temps pour le début de l’aarti en l’honneur de la divinité. Ce fut le prélude à des heures de chants répétitifs et de transes impressionnantes.
Durant une des transes, un Bhopaji (sorte de chaman) fit le tour du temple de la déesse avec une épée, s’entaillant la langue et se frappant le corps avec la même lame. À ses côtés, d’autres fidèles se flagellaient le dos avec des chaînes, dans un rituel intense.
Les phénomènes de transe et de possession, très courants dans le Rajasthan rural et dans toutes les parties tribales de l’Inde, sont des vestiges de pratiques animistes où l’individu servait de canal pour l’esprit du monde naturel ou des ancêtres.
Après quelques heures passées sur place, je suis rentrée à l’hôtel. Il était important pour moi de me reposer et de me préparer pour la longue journée à venir, qui serait le point culminant de Navaratri.
Tôt le matin, je fis le tour du village. Je fus invitée à prendre un chai avec les habitants que j’avais rencontrés la veille, avant de me rendre au temple où les festivités de la journée commençaient. Les femmes étaient en train de chanter pendant qu’un aarti était effectué, suivi du sacrifice d’une chèvre.
Le sacrifice animal, mentionné dans les anciens textes brahmaniques et védiques, puis repris dans les rituels tantriques, est une pratique historiquement acceptée dans l’hindouisme. Toutefois, en raison de l’ahimsa (non-violence), les opinions actuelles des hindous sur la validité de cette pratique divergent. Il est à noter que la viande de l’animal sacrifié n’est pas gaspillée mais cuisinée et partagée avec la communauté.
Le sacrifice terminé, un homme et une jeune fille émergèrent du temple, reculant pas à pas tout en tenant les pots de graines germées.
Les transes s’intensifièrent alors que le Bhopaji principal insufflait l’énergie de la Shakti aux autres membres de la communauté. Ces derniers ôtèrent leurs chemises et nouèrent une ceinture de blé autour de leur taille, promesse d’une récolte abondante.
À l’issue de la transe, les villageois entamèrent une longue procession de plusieurs kilomètres jusqu’à un puits sacré où les pots furent offerts en un geste final symbolisant la vie et la fertilité, le tout accompagné de nouvelles transes.
De retour du puits, les bhopajis plantèrent le drapeau du temple au milieu d’une vaste prairie, déclenchant de nouvelles transes qui permirent aux villageois de poser leurs questions aux chamans.
Ma découverte de Navaratri dans les collines de Deogarh fut une expérience intense, bien au-delà de mes attentes. J’ai été témoin d’une spiritualité où chaque rituel vibre au rythme de la communauté. Ce fut un véritable privilège de partager ces moments avec les villageois, une autre immersion « MAGIK INDIA » qui restera gravée dans ma mémoire.
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