Charbhuja Garhbor est l’un des quatre grands lieux de pèlerinage hindous de la région du Mewar au Rajasthan avec Shrinathji, Shri Eklingji et Kesariyaji. Situé dans le charmant village de Garhbor, à une trentaine de kilomètres du fort de Kumbhalgarh, ce sanctuaire, dont la communauté Gurjar prend soin, a une longue histoire qui remonterait aux temps védiques, il y a plus 5 000 ans de cela.
On dit que l’histoire du temple Charbhuja Garhbor est intimement liée au dieu hindou Krishna et aux cinq frères Pandavas, les caractères principaux de l’épopée indienne du Mahabaratha :
Après une longue vie sur terre (125 ans), le Seigneur Krishna décida de partir pour Goloka, son ultime demeure. Les frères Pandavas, pour qui il avait été un instructeur spirituel, lui demandèrent alors comment ils pourraient vivre sans lui. Krishna alla donc voir Vishwakarma ji, l’artisan divin, pour qu’il crée une statue à son image. Il donna ensuite cette idole aux Pandavas pour leur culte quotidien et se rendit dans son royaume divin.
Goloka Vrindavan ou Vaikunthdham, en quelque sorte le « paradis » de Krishna, est décrit dans les textes du Brahma-samhita comme un « cintamani-dhama », un endroit où tous les désirs sont exaucés. Les palais sont en jaspe noir, jalonnés « d’arbres à souhait » qui fournissent tout type de nourriture à la demande et abritant des « surabhi », des vaches qui donnent du lait à volonté. C’est symboliquement la forme transcendantale du dieu, la destination ultime de la vie qui, quand on l’atteint, nous libère du monde matériel.
Cette statue continua à être vénérée pendant des siècles et des siècles après les Pandavas, jusqu’aux invasions mogholes où l’idole fut immergée dans un lac pour échapper aux pillages. Elle resta là de nombreuses années jusqu’à ce qu’elle fut redécouverte par Sura Ji, un vacher Gurjar.
L’histoire raconte que Sura Gurjar était parti avec sa vache vers de lointains pâturages quand il remarqua que jour après jour elle ne donnait plus de lait ; quelqu’un, apparement, venait la traire discrètement pendant la nuit. Un soir, il resta éveillé et vit avec stupéfaction que le lait sortait tout seul des pis de sa vache. C’est alors que le seigneur Krishna apparut devant lui et lui demanda de sortir l’idole de l’eau et de reprendre son culte.
Depuis lors, cette statue est vénérée par les descendants de la famille de Sura Ji et de toute la communauté Gurjar. De nos jours, près de 500 familles Gurjar se relaient dans le temple pour l’entretien et les rituels.
Le temple actuel aurait été construit en 1 444 EC par Shri Gang Dev selon les directives divines qu’il a reçues dans un rêve. Les inscriptions à l’intérieur du temple suggèrent que le village à ce moment-là était connu sous le nom de Badri, le temple portait alors le nom de Badrinath.
Charbhuja est d’architecture classique Nagara (Inde du Nord) flanquée de deux imposants éléphants à l’entrée et trois sikharas (clochers). Le plus haut des trois abrite le sanctum sanctorum orné de miroirs multicolores et de céramiques.
L’idole noire de Vishnou, de 85 cm de haut, est dotée de « char bhuja », c’est-à-dire de « quatre bras », d’où le nom du temple. Chacune de ses mains tient les attributs habituels du seigneur Vishnou : une conque, une massue, un lotus et un disque (chakra), métaphore de la roue du temps.
Le temple ayant connu d’innombrables assauts, la statue est aussi armée d’une épée et d’un bouclier en mémoires des batailles qui ont été menées pour la sauver.
Sur le côté gauche du temple, une grande galerie richement décorée retrace plusieurs épisodes de la vie du dieu Krishna, la bataille de Kurukshetra notamment.
En sortant du temple, on ne peut manquer la Nakkar Khana, une grande tour d’architecture rajpoute avec ses arches polylobées et son toit en coupole-chhatri (parapluie). Elle est utilisée par les musiciens (percussions et shehnai) les jours de festivals.
Les Gurjars ou Gujjars sont à l’origine une communauté pastorale. C’est un groupe hétérogène qui se différencie en termes de religion, de profession et de statut socio-économique.
Les Gurjars hindous se trouvent principalement dans les États indiens du Rajasthan, de l’Haryana, du Madhya Pradesh et du Maharashtra. Les Gujjars musulmans habitent les zones du Pendjab, les régions de l’Himalaya indien telles que le Jammu-et-Cachemire, l’Himachal Pradesh ainsi que les districts du Garhwal et de Kumaon dans l’Uttarakhand
D’après les historiens, il existait au Moyen Âge plusieurs royaumes Gurjar que l’on appelait « Gurjara », « Gurjaradesa » ou « Gurjaratra » dans l’actuel Rajasthan et au Gujarat. De même, le district de Saharanpur dans l’Uttar Pradesh était également connu sous le nom de « Gurjargadh », en raison de la présence dans la région de nombreux seigneurs Gurjar, de riches agriculteurs et propriétaires terriens. Les fiefs Gurjaras ont commencé à disparaître après le 10e siècle de notre ère.
À l’heure actuelle, l’ancienne génération des Gurjars est encore largement active dans le domaine de l’agriculture. La jeune génération, elle, éduquée, perpétue les traditions des Gurjars lors des festivals.
Les festivités du temple suivent celles du calendrier hindou, cependant, deux festivals sortent du lot, Holi et le Jhal Jhulni.
Holi dans le sanctuaire de Charbhuja est l’un de mes meilleurs festivals des couleurs, l’ambiance y est bon enfant, loin des Holi enivrés et agressifs de certaines villes. Pour l’occasion, les hommes Gurjars portent leur habit traditionnel, un turban de couleur vive, un dhoti et un haut blancs et, pour couronner le tout, un somptueux collier en or serti de pierres précieuses.
Ici, Holi ne dure pas moins de 15 jours et enchaîne danses traditionnelles, parades et bataille de poudres de couleur. Un concentré de bonne humeur sous fond de ferveur spirituelle.
Le « Jhal Jhulni Ekadashi », l’autre festival phare du temple Charbhuja est observé pendant le mois hindou de Bhadrapad (août/septembre), lors de la phase croissante de la lune (Shukla Paksha), 21 jours exactement après Krishna Janmashtami. Des dizaines de milliers de fidèles viennent alors de tous les villages environnants pour participer à cet événement haut en couleur.
On dit que ce festival est tenu en mémoire de Mata Yashoda, la mère adoptive de Krishna, qui a lavé les vêtements de l’infant Krishna ce jour-là, après la période de Sutak.
Dans l’hindouisme, Sutak est un temps d’isolement à la naissance d’un enfant (et après le décès d’une personne). Les membres de la famille du nouveau-né observent une période de Sutak de 10 à 20 jours selon les communautés. Ils s’interdisent d’aller dans les temples ou d’assister à des cérémonies par exemple. Cependant, l’environnement général est jubilatoire et joyeux. La mère de l’enfant reste dans sa chambre avec son nouveau-né qui n’est pas sorti à l’extérieur de la maison. La raison à cela est que, dans les temps anciens, de nombreuses maladies incurables avaient cours ; cet isolement permettait à la mère comme à l’enfant de ne pas être contaminés pendant un stade de fatigue et de faiblesse physique.
Lors de Jhal Jhulni, l’Uthsavar, le « double » de la statue du temple, sort en procession jusqu’au lac Dooth Talai, à un kilomètre du village, dans un palanquin d’argent porté par les hommes Gurjars. La foule très compacte se meut difficilement tandis que les poudres de couleurs déferlent sur les participants, si bien, qu’après la procession, les rues du village semblent recouvertes d’un épais tapis rose.
Les vêtements de la statue sont lavés dans le lac puis, après plusieurs rituels, l’idole réintègre le temple. Jhal Jhulni est sans conteste l’un des festivals du Rajasthan à ne pas manquer que ce soit à Garhbor ou sur les terres des Rabaris.