En voyant cet alignement de cavaliers, on serait tenté de faire le parallèle avec les valeureux guerriers des temples de Momaji du Rajasthan. Mais c’est bien une autre histoire ici, celle qui m’a été contée par Krutarth Sinh Jadeja, alors que je résidais dans son élégant manoir centenaire à Devpar. Quelle est la part de légende et de réalité dans l’histoire des Jakh Botera ? Il est fort probable qu’on ne le sache jamais !
Les Jakhs Botera sont des temples spécifiques à la région de Kutch (Gujarat) qui sont dédiés au culte de 72 guerriers, ou plus exactement, 71 hommes et une femme, Sayari, qui est leur sœur.
Les Jakh Botera seraient arrivés par la mer. Ils auraient fait naufrage à Jakhau sur la côte Ouest de Kutch au milieu du 12e siècle EC. Certains historiens les lient à la Perse, d’autres à l’empire Byzantin ou à la Syrie.
On raconte que ces guerriers étaient grands, de carnation claire et possédaient une culture avancée notamment sur le plan scientifique. Ils auraient amené avec eux la médecine Unani qui traitera efficacement la malaria qui sévissait dans la région. Pour cette raison, les locaux leur prêteront des pouvoirs surhumains.
L’Unani est une médecine traditionnelle qui remonterait à l’Égypte ancienne et à la Mésopotamie. Hippocrate et Pythagore en consignèrent les principes qui furent développés au 12e siècle par des savants du monde arabe. Lors des conquêtes musulmanes des Indes qui ont commencées au 8e siècle EC, l’Unani cohabitera avec harmonie avec la médecine Ayurvédique indigène.
La Hamdard University, à Delhi, est un des rares instituts d’Asie qui mène des recherches approfondies sur la médecine Unani et l’enseigne.
Dans un village voisin, à Punvaranogadh (proche de l’actuel village de Manjal, au sud de Devpar) vivait un roi tyran. Sa reine, qui avait eu vent des pouvoirs miraculeux des Jakh, les sollicita pour qu’ils exaucent sa prière d’avoir un enfant. Elle fit creuser un passage souterrain de son palais jusqu’à la colline Kakadbhit pour les rencontrer en personne. Les jakh répondirent que sa prière ne pouvait être exaucée sans l’aide de rituels spéciaux effectués dans le palais même.
Avec l’accord de la reine, sept Jakh entrèrent dans le palais via le passage souterrain pour accomplir les rites. Mais, lorsque le roi Punvar entendit qu’il y avait des hommes étrangers dans les appartements des dames, il entra de force, s’empara des saints guerriers et les tortura pendant plusieurs jours.Touché par leur souffrance, un barbier du palais proposa de prendre la place de l’un d’eux. Le jakh libéré se sauva et alla avertir les autres guerriers. Les 72 Jakhs marchèrent alors sur Punvaranogadh et, pendant le siège, une pierre tomba du toit du palais et brisa la tête du roi. Les Jakhs maudirent la ville qui est peu à peu tomba en ruine.
Plus tard, des temples dédiés aux Jakh Botera furent érigés pour commémorer leurs exploits et leur sagesse.
Ces guerriers sont généralement vénérés par la communauté Sanghar, qui sont des hindous vishnouïtes. Certains d’entre eux pensent que les soixante-douze cavaliers sont en réalité des Yaksas, des demi-dieux qui apparaissent dans l’hindouisme, mais aussi dans le bouddhisme et le jaïnisme.
Le temple des Jakh Botera de la légende est situé près de Devpar, à 50 km au nord de Bhuj, le chef-lieu du district de Kutch. Il se tient en hauteur sur la colline Kakadbhit et, de l’extérieur, il ressemble à une petit palais-forteresse. A l’intérieur, 72 statues de cavaliers blancs sont alignés sur deux rangées. Au centre, un cavalier principal se tient devant un autel hindou ; deux hommes assis officient et racontent l’histoire des Botera à qui veut bien l’entendre… En dialecte local.
Le temple des Jakh est mis à l’honneur lors de la foire annuelle « Mota Jakh no Melo » qui a lieu sur les contreforts de la colline Kakadbhit. Elle est organisée le deuxième lundi du mois hindou de Bhadrapad (septembre-octobre) et est considérée comme l’une des plus grandes foires de Kutch, d’où son nom de « mini Tarnetar » qui est la plus grande foire du Gujarat. ON y trouve des centaines de stands d’artisanats ainsi que des produits de la vie courante. En soirée, des programmes culturels comprenant entre autres des danses Garba (danses folkloriques gujaraties) sont au menu.
Devpar, c’est aussi le fief des Rabari Kachhi dont les femmes portent des boucles d’oreilles uniques appelées « Nagali » (serpents). Ce type de bijoux nécessite des lobes d’oreille étirés, procédure qui commence dès l’enfance en insérant des bouchons de bois dans les lobes. Ces Nagalis sont portées à partir de la cérémonie de mariage et ne sont plus jamais enlevées.
Les femmes Rabari Kacchi sont aussi réputées pour leur broderie élaborée dont les pièces les plus importantes ressemblent à de véritables œuvres d’art. La plupart des créations incluent le travail d’abblas (petits miroirs ronds) avec différents points de broderie telle la chaînette pour ne citer qu’elle.
Les hommes de la communauté Rabari Kacchi se distinguent par des habits traditionnels sobres, un turban marron et un ensemble blanc immaculé commun à toutes les communautés de Rabaris.
Et si vous souhaitez rester un peu plus longtemps autour de Devpar, je vous conseille de séjourner au DEVPUR HOMESTAY, un petit bijou de manoir tenu par les héritiers des Thakurs Jadeja de la région…