Sayla a été un coup de foudre au premier regard pour moi. Située dans la péninsule du Saurasthra (Gujarat), à trois heures d’Ahmedabad, la cité des Rajpoutes Jhala est une destination encore peu courtisée par les voyageurs. Et pourtant, elle a de quoi séduire ! Hormis sa vieille ville au charme fou, ses nombreux monuments historiques et ses artisans réputés, Sayla est aussi connue comme « Bhagat-no-Gav », ou le « village des saints » en raison de ses nombreux centres spirituels.
Sayla était une principauté gouvernée par les rajpoutes Jhala, un clan originaire du Sindh (Pakistan actuel) appartenant à la lignée Suryavanshi. Ils se sont tout d’abord installés à Patdi au 12e siècle EC, puis établirent plusieurs états princiers, entre autres, à Halwad, Dhrangadhra, Wankaner, Limbdi, Wadhwan, Chuda et Sayla. Cette région, située au centre-nord de la péninsule de Saurasthra, était alors connue sous le nom de Jhalawar.
Sayla a été fondée en 1751 par Seshmal Rai Sinh ji, conquise sur les Kathis Darbars, ses parents éloignés ; les Kathis auraient donné leur nom à la région de « Kathiawar », l’ancienne dénomination de la péninsule de Saurashtra. On attribue à Seshmal Rai Sinh ji la construction du mur fortifié autour de Sayla et du Darbargadh (palais), qui est toujours la propriété de la famille Jhala.
Le Thakur de Sayla est à l’heure actuelle Somraj Sinh Ji. Soucieux de la conservation de son héritage, il a ouvert une guesthouse de charme (bell guesthouse) dans le manoir qui accueillait jadis les invités occidentaux. C’est ici que les voyageurs se logent quand ils visitent Sayla. La bâtisse au charme suranné et l’hospitalité sans faille du lieu rendent le séjour à Sayla d’autant plus agréable. On se sent très vite comme à la maison.
Sayla fut une belle surprise pour moi ; je ne m’attendais pas à tomber sur une ville avec autant de caractère. L’entrée de la vieille cité donne déjà le ton, avec sa porte fortifiée en forme d’ogive ornée de moulures délicates.
Passé cette porte, c’est une toute autre atmosphère : les habitants que l’on croise sont tout sourire et d’une amabilité incroyable ; peut-être est-ce parce que les voyageurs ne sont pas si nombreux que ça à Sayla et qu’un peu d’exotisme est toujours bienvenu.
Cette hospitalité se retrouve au marché de légumes qui se tient deux fois par jour, le matin et le soir, où les vendeuses prennent la pose et plaisantent aisément avec nous.
En continuant quelques mètres plus loin, on tombe sur l’étang Mansarovar où des pélicans ont élus domicile. Puis, posée au bord de ce même étang, on aperçoit la petite merveille de la ville : le temple de Kashi Vishwanath.
Le temple de Kashi Vishwanath de Sayla mériterait presque un article pour lui tout seul, tant il y a une foison de détails architecturaux. C’est mon coup de cœur absolu à Sayla !
Kashi Vishwanath est encore ceinturé par l’ancienne muraille de la ville percée par un porche particulièrement gracieux qui donne sur l’entrée du temple. Sur le côté gauche du porche, on peut encore apercevoir les meurtrières, reflet du passé moins pacifique de la ville.
L’entrée du temple est aussi fortifiée avec un porte flanquée de deux gardiens de style Marathi et surplombée d’un balcon à encorbellement.
L’origine de ce temple est incertaine. Selon Somraj Sinh Ji, elle remonterait à plus de 200 ans.
L’histoire raconte qu’un des souverains Jhala n’arrivait pas à avoir d’héritier. En fervent dévot de Shiva, il pria intensément le dieu du Mont Kailash pour qu’il lui donne un fils, en échange de quoi, il bâtirait un temple similaire à celui de Kashi Viswanath de Varanasi. Le vœu se réalisa et ce temple fut ainsi construit.
L’entrée du sanctuaire est encadrée de deux petits temples, un dédié à la Shakti et un à Hanuman.
L’intérieur du temple est fabuleux avec de la marqueterie de marbre sur le sol et sur les façades. Des arches colorées accueillent des niches avec des moulures du dieu Shiva et soutiennent des tableaux anciens qui décrivent plusieurs aspects de la vie du même dieu. Des chandeliers en cristal viennent rehausser cette ambiance royale.
Le taureau divin Nandi, véhicule de Shiva, est recouvert d’un caparaçon brodé de fils d’or.
Le garbhagriha (Sanctum Sanctorum) contient un lingam, symbole de Shiva ; c’est un swayambhu, c’est-à-dire qu’il n’a pas été façonné de main d’homme.
L’arrière du garbhagriha consiste en de beaux jalis (panneaux ajourés) ciselés dans le marbre blanc. Ils représentent diverses déités du panthéon hindou et les souverains Jhala.
Lalji Maharaj est un important centre spirituel à Sayla. Il tire son nom du saint hindou Lalji né à Sindhavadar près de Wankaner, il y a une centaine d’années de cela. Lalji avait choisi le chemin de la « bhakti » (dévotion) dès son jeune âge et partait de ville en ville chanter des bhajans (chants de dévotion hindous) et demander l’aumône. Lors de ses visites, des miracles se produisaient régulièrement.
A cette époque, le souverain de Sayla, Madar Sinh I, était malade. Informé de la présence du saint dans un village près de Sayla, il alla le voir pour expliquer son problème. Le saint le bénit et, à partir de ce moment-là, il fut guéri.
En remerciement de ce miracle, le roi construisit le temple actuel à Sayla et demanda au saint de s’y installer. Lalji acquiesça et, depuis ce temps, la lignée des acharyas se poursuit, chaque guru nommant le prochain.
Le temple se compose de plusieurs sanctuaires abritant les déités de Radha-Krishna ainsi qu’une statue de Sesha Narayan, le dieu Vishnou allongé sur le serpent Sesha.
A partir du temple de Lalji, nous entrons dans le cœur de la vieille ville. Les rues alambiquées sont jalonnées de maisons anciennes colorées aux balcons sculptés dans le bois. Un délice pour les amateurs d’architecture comme moi.
Ces ruelles labyrinthiques nous mènent finalement vers une place où sied le Darbargadh, l’ancien palais de Sayla. Comme vu plus haut, il a été construit au milieu du 18e siècle et est encore la résidence de la dynastie Jhala.
On accède au palais via un magnifique porche, flanqué de diverses statues et surplombé de beaux balcons à encorbellement taillés dans le gré.
De là, une large place arborée s’ouvre devant nous, délimitée par les bâtiments du palais qui, il faut le dire, ne sont plus en grande forme. Entretenir de tels endroits est toujours un défi de taille pour les familles qui en héritent. On devine cependant avec les structures restantes que ce palais devait être, au sommet de sa gloire, un véritable petit joyau architectural.
Les balcons et les piliers sculptés dans le bois sont de toute beauté et le travail de la pierre d’une grande délicatesse.
La seule pièce ouverte aux visites est la salle des audiences, où sont exposés des photos des souverains Jhalas (certaines grandeur nature), des bibelots divers, des meubles d’époque, des reproductions originales du peintre Raja Ravi Varma et un grand tigre empaillé. On a un peu l’impression d’entrer dans une boutique d’antiquaire.
Le trône des Jhalas est toujours là, au fond de la pièce, surmonté d’un palanquin. Lors de ma venue au palais, des jeunes membres de la famille royale fêtaient un anniversaire. Une façon de rendre vivant ce lieu hors du temps.
Un des autres atouts de taille de Sayla est ses environs riches en monuments historiques et en artisans réputés. Certains de ces lieux feront l’objet de prochains articles, je ne m’étendrai donc pas trop, juste assez pour vous mettre en appétit. 😉
Le temple Navalakha est situé dans le village de Sejakpur, à environ 40 km au sud de Sayla. Construit au 12e siècle EC, c’est une des nombreuses merveilles de pierre de la période Solanki. Il se compose d’un sanctuaire et d’un mandapa construit sur un plan en gradins avec des porches en saillie. Le temple est richement sculpté.
Dans le même village, juste à côté du temple, on peut rencontrer plusieurs famille Kathi qui perpétuent l’art traditionnel du perlage pour la création de bijoux, mais aussi d’éléments décoratifs pour la maison comme des torans et des tableaux. Si, dans nos pays occidentaux, le perlage n’est bien souvent qu’un simple loisir créatif, en Inde, c’est un artisanat authentique qui se transmet généralement de mère en fille.
Dhandhalpur est un lieu unique non seulement pour son ancien puits à degré, mais aussi pour son temple hindou à ciel ouvert Dhundhali nath placé au sud du Vav. Il comprend une statue d’un saint de 3 mètres de haut dont une jambe est curieusement coupée. L’histoire complète de ce temple fera l’objet d’un article plus approfondi…Patience donc…
L’art du tissage traditionnel est un autre intérêt majeur des environs de Sayla pour ceux/celles qui aiment l’artisanat raffiné de l’Inde.
Dans le village de Vasatadi, à 20 km de Sayla, les tisserands Tangaliya sont à l’œuvre. Le Tangaliya est une technique de tissage rare et fastidieuse qui consiste à faire des nœuds sur plusieurs fils de trame afin de donner au tissu un effet perlé.
Somasar, toujours dans la région de Sayla, est un autre centre important pour le tissage cette fois-ci du Patola à simple ikat, une version moins onéreuse que le double ikat Patola de Patan, cependant tout aussi harmonieuse.