Le temple jaïn de Rishabhdev encore appelé Kesariyaji ou Rishabdeo, situé à 60 km au sud d’Udaipur, est un des quatre grands « Tirth » (pèlerinages) de la région du Mewar au Rajasthan. Les trois autres étant : Shrinathji, Shri Eklingji et Shri Charbhujaji. Cependant, contrairement à ces derniers, Rishabhdev est non seulement vénéré par les jaïns, mais aussi par les hindous et les Bhils, le peuple autochtone majoritaire de la région. Cette particularité, qui fut, un temps, l’objet d’une discorde entre les différentes communautés, a contribué à l’atmosphère très spéciale de ce lieu.
Le temple de Rishabhdev se tient dans une petite ville du même nom posée sur les rives de la rivière Kunwarika. On l’atteint en déambulant dans des ruelles étroites jalonnées d’anciennes maisons croulant sous le poids du temps.
Rishabdeo se trouve au bout d’une allée pavée, entouré d’échoppes de souvenirs et d’offrandes. Une première porte massive ouvre sur une cour comprenant plusieurs édifices. En face, l’entrée du sanctuaire principal est gardée par deux éléphants sculptés dans le pareva, un marbre local de couleur vert-gris.
À partir de là, les photos sont interdites et c’est bien dommage, car la structure, dotée de cinquante-deux Jinalayas (pointes) et de plus de 1000 piliers sculptés, est d’une grande finesse et affiche une profusion de sculptures.
Au centre du sanctuaire, trône la statue en schiste noir d’un mètre de Rishabhdev (aussi connu sous le nom d’Adinath) le premier des vingt-quatre Tirthankars (enseignants illuminés) de la foi jaïne.
Rishabhdev est né de Nabhi et Marudevi, le roi et la reine d’Ayodhya, le neuvième jour du mois de Chaitra Krishna Navami (mars-avril). La ville d’Ayodhya est donc non seulement sacrée pour les hindous (c’est le lieu de naissance du seigneur Rama), mais aussi pour les jaïns.
Rishabhdeo est généralement représenté dans la posture du lotus ou en « kayotsarga », c’est-à-dire debout dans un état contemplatif. Les traits distinctifs du Tirthankar sont ses longues mèches de cheveux qui tombent sur ses épaules et un taureau gravé à ses pieds.
« Kesariya ji » est un autre nom donné à cette statue. En effet, des offrandes de « kesar » (safran en Hindi) sont effectuées tous les jours sur la déité. Lors de festivals particuliers, une pâte spéciale à base de safran est plaquée sur le corps entier du saint.
Le safran de par sa couleur représente le feu et comme le feu purifie tout, cette épice symbolise par conséquent la pureté. Cette couleur est aussi associée à l’abstinence religieuse ; c’est notamment celle que portent les sadhous qui ont renoncé au monde matériel.
Bien que le temple date du 8e siècle, on pense que Kesariya ji est vénéré depuis l’antiquité, non seulement par les Digambars et les Shwetambars, les deux grandes branches de la foi jaïne, mais aussi par les hindous (les vishnouïtes et les shivaïtes en particulier) et par les tribus Bhils des environs. Et il y a plusieurs raisons à cela énoncées dans les paragraphes suivants.
Dans le Bhagavata Purana, un des textes sacrés de l’hindouisme, « Rishabha » est l’un des vingt-quatre avatars du dieu Vishnou (le huitième pour être précis). Certains érudits affirment que cet avatar est Rishabhdev, le premier Tirthankar du jaïnisme.
De plus, dans certains textes du shivaïsme comme le Linga Purana, Rishabhdev est perçu comme une forme du seigneur Shiva. « Rishabha », dans la littérature védique, signifie « taureau » et c’est une épithète de Rudra, le maître des animaux, un autre aspect de Shiva.
Même s’il l’on n’adhère pas à ces théories, force est de constater qu’il existe de nombreuses similitudes entre Rishabhdev et Shiva.
Rishabhdev est un ascète Digambar, c’est-à-dire qu’il ne porte aucun vêtement. Shiva est aussi un anachorète, vêtu d’un simple pagne. Les deux sont représentés dans une posture yogique avec les yeux mi-clos et des cheveux longs. Autre ressemblance frappante, le taureau est le symbole de Rishabhdev et Nandi, la monture de Shiva est aussi un taureau. Pour finir, le Tirthankar a atteint la Moksha (salut) au Mont Kailash qui est la demeure même du Seigneur Shiva.
En raison de ces avatars hindous revendiqués de Rishabhdev, on trouve dans le complexe, en plus du sanctuaire jaïn principal, deux temples hindous, Sri Charbhuja ji dédié à Krishna (avatar de Vishnou) et Shri Ekling Ji Somnath, représentant Shiva sous la forme d’un lingam.
Ce sont aussi des « prêtres » hindous qui effectuent les rituels sur la statue et non des religieux jaïns.
Chose étonnante, la statue de Rishabhdev est également révérée par les Bhils, le peuple autochtone de la région du Mewar-Vagad (Udaipur, Dungarpur et Banswara), qui l’appellent « Kala ji », le dieu noir.
Ce culte est probablement lié à une légende populaire Bhil qui raconte qu’un villageois du nom de Dhulia a vu dans un rêve l’idole du seigneur noir, là où le temple est bâti actuellement, enfouie sous un monticule de terre et Kamadhenu, la mère des vaches sacrées, venait y verser son lait en guise d’offrande.
S’il est très courant pour les Bhils de vénérer les déités classiques du panthéon hindou en plus de leurs divinités locales comme Kanalyo Mata ou Bhed Mata, le culte d’une image jaïne est beaucoup plus rare… Et c’est ce qui ajoute à l’unicité de ce sanctuaire.