De tout temps, le climat a été l’un des facteurs déterminants pour la conception d’un lieu de vie. Grâce à des technologies de construction bien spécifiques, l’haveli, traduit par « maison de maître » ou « manoir » en français, est une réponse architecturale ingénieuse aux conditions climatiques extrêmes des régions du Rajasthan, assurant des moyens passifs de chauffage et de refroidissement, tout en respectant l’environnement. Ainsi, ce type de demeure, qui prend parfois des allures palatiales, était, bien avant que le terme soit employé, un édifice bioclimatique et un modèle de durabilité qui inspire encore les architectes du 21e siècle.
Haveli dériverait du mot Persian « hawli » signifiant « partition » ou « espace clos« . On trouve ce type d’édifice dans toute l’Inde, mais tout particulièrement au nord-ouest de l’Inde (Rajasthan, Pendjab et Gujarat), là où de grandes variations climatiques posent des défis en matière de confort de vie.
Si on prend la ville de Churu, par exemple, au nord-est du Rajasthan, on observe des températures qui oscillent entre 3 en hiver et 50 degrés en été ; un écart considérable.
C’est pour cette raison que le Rajasthan est sûrement l’état qui offre le modèle le plus parfait de ce qu’est le concept de l’haveli, la ville dorée de Jaisalmer ou la région du Shekhawati en particulier et, dans une moindre mesure, Bikaner et Udaipur.
Si l’architecture de l’haveli était une réponse directe au climat régional, elle était également le reflet de l’opulence de ses concepteurs, de riches marchands pour la plupart, qui firent fortune notamment grâce à la route de la soie.
Dans la région du Shekhawati, au nord-est du Rajasthan, ce sont les Banias Marwaris qui, au 17e siècle, bâtirent de somptueuses demeures ornées d’une profusion de fresques colorées. La région a, en raison de cela, été surnommée la galerie d’art à ciel ouvert de l’Inde.
À Jaisalmer, à l’ouest du Rajasthan, la demeure la plus majestueuse, l’haveli Kothari Patwa, a été construite par la famille jaïne Patwa qui connut un immense succès dans la finance ainsi que dans le commerce du brocart et de l’opium, si bien, qu’à un certain moment, ils furent même appelés à éponger le déficit public de la ville !
Quant aux havelis rouges de Bikaner, cité proche du Shekhawati, elles ont été érigées au 17e siècle par la riche famille des marchands Rampurias dans un style éclectique qui fait tout leur charme.
L’haveli Rajasthanaise est une structure architecturale qui s’est développée dès la fin du 16e siècle sous l’influence du style Moghol qui est une fusion de plusieurs architectures : indigène, islamique persane et de l’Asie centrale. Ce type d’architecture typique du Rajasthan est généralement dénommé « Mru-Gurjara » ou, plus populairement, « Rajpoute ».
Parmi les caractéristiques les plus distinctives du style rajasthanais, figure le « Jharokha« , un balcon en encorbellement, fermé de jalis (parois ajourées) et couronné d’une demi-coupole aux angles aigus.
Son but était non seulement esthétique mais aussi utilitaire : il permettait une bonne ventilation de la demeure, de positionner éventuellement des gardes ou des soldats et servait également pour les apparitions officielles des maîtres de la demeure.
Un autre élément indissociable du style rajpoute est le « chhatri » (qui veut dire parapluie en hindi). C’est un pavillon à kiosque soutenu par plusieurs piliers à arches polylobées surmonté d’un dôme hémisphérique avec un auvent saillant.
Les chhatris peuvent être purement ornementaux ou servir de cénotaphes sur le lieu de crémation des seigneurs rajpoutes.
Pendant la Raj britannique, l’architecture des havelis sera fortement influencée par le style victorien et européen en général, c’est surtout le cas pour la région du Shekhawati.
Les piliers intérieurs et les sols des havelis prennent alors des airs d’Italie, les vitraux et chandeliers sont ramenés de Belgique et les fresques des murs qui jusqu’alors affichaient la vie du dieu Krishna, se parent de motifs contemporains : trains à vapeur, vélos, téléphones, bateaux de croisières…
Des personnages occidentaux se frayent aussi un chemin dans ces toiles murales, Frida Kahlo, l’artiste peintre mexicaine, en est l’exemple le plus anecdotique.
Les havelis comprennent certaines caractéristiques typiques qui incluent des cours, des vérandas, des balcons, des murs épais et des matériaux comme la brique, la pierre naturelle et la chaux qui entrent en jeu dans la régulation thermique.
Les havelis sont construits autour d’une ou plusieurs cours intérieures appelées « chowk ». Véritable cœur de l’édifice, le chowk assure la transition entre les espaces publics et privés et contribue largement à la régulation thermique de tout l’édifice.
Le « chowk » n’est pas l’apanache exclusif de l’haveli ; la maison avec cour, est un dispositif architectural qui était déjà utilisé dans le sous-continent indien dès le 2500 av. J.-C. ; les ruines de Mohenjo-Daro et Harappa dans le Pakistan actuel en gardent les preuves.
La cour répond en effet aux normes du manuel d’architecture de l’Inde antique, le Vastu Shastra, qui stipule que toutes les zones doivent rayonner à partir d’un point central.
Hormis les havelis, cette structure centrale a également été adoptée par les maisons traditionnelles du Tamil Nadu ; la région du Chettinad, avec ses splendides demeures palatiales, en est le meilleur témoin.
L’utilisation de ces cours et leur nombre dépend de la région du Rajasthan et de ses coutumes. Les havelis du Shekhawati par exemple comptent deux cours intérieures, la première constitue la partie publique, on y recevait les hôtes étrangers à la famille comme les hommes d’affaires et les musiciens qui venaient divertir les clients des riches marchands.
La seconde était strictement réservée aux membres de la famille et aux amis proches. De cette cour rayonnent toutes les autres pièces de la demeure, celles de l’étage étant desservies par une galerie qui fait le tour de la cour.
Lieu social, culturel et spirituel, le chowk est également un ingénieux moyen de régulation thermique qui évite les grands écarts de température en chauffage ou refroidissement.
La masse de construction élevée tout autour de la cour combinée aux vérandas et aux galeries produit une ventilation naturelle ; l’air chaud s’infiltre dans les pièces pendant l’hiver et, lors des soirées d’été, l’air chaud monte et sort des cours.
De plus, la construction d’un haveli prend souvent en compte l’orientation pour tirer parti au maximum de la chaleur du soleil en hiver et réduire son impact en été. Ainsi, dans certains havelis, il a été calculé qu’au solstice d’été, le soleil est presque à angle droit quand il entre dans la cour, alors qu’il est beaucoup plus bas, environ de 30 degrés au solstice d’hiver ; ceci permet donc à la lumière naturelle de pénétrer plus abondamment dans la cour et dans certaines pièces du côté nord. (Source : Samra M. Khan Sethi Haveli, an Indigenous Model for 21st Century ‘Green Architecture’).
Les briques en terre cuite et le grès, qui étaient des matériaux couramment utilisés dans les havelis, sont connus pour leur forte inertie thermique, c’est-à-dire, qu’ils emmagasinent et restituent la chaleur ou la fraîcheur selon les changements de températures.
Les havelis de Jaisalmer par exemple, ainsi qu’une grande partie de la ville, sont toutes construites à partir de grès jaune qui est extrait localement. De là provient son surnom de « ville d’or ». Les havelis de la région du Shekhawati, quant à elles, sont bâties avec des briques en terre cuite puis recouvertes de chaux.
Concernant les havelis des Rampurias à Bikaner, c’est le grès rouge qui a été choisi et pour Udaipur, la ville des lacs, le grès gris-vert.
Autre fait, les havelis sont également dotés de murs d’une épaisseur conséquente, jusqu’à 70 cm. Plus l’enveloppe d’un bâtiment est lourde, plus elle fait office de réservoir thermique : pendant les journées chaudes, la chaleur du rayonnement solaire vers l’intérieur est amoindrie et, pendant les heures fraîches, une partie de la chaleur stockée dans les murs pendant la journée est libérée à l’intérieur.
L’isolation intérieure des murs des havelis du Rajasthan était autrefois assurée par un enduit spécifique à base de chaux que l’on appelle ghotmakali et que peu d’artisans savent reproduire à l’heure actuelle, le processus étant très long (plusieurs mois) et demandant une connaissance bien particulière qui s’est perdue au fil du temps.
La première étape de la préparation du ghotmakali était le broyage des roches calcaires dans une meule circulaire en pierre actionnée par des bœufs, on y ajoutait de l’eau mélangée à du fenugrec et à de la molasse agissant en tant que liant. Ce plâtre était ensuite appliqué sur les murs en briques de l’haveli et on laissait sécher pendant plusieurs mois pour qu’il puisse se stabiliser. On badigeonnait ensuite les murs avec un mélange à base de poudre de coquillage et d’œufs puis, quand le tout était bien sec, on imbibait les parois avec de l’huile de noix de coco. La finition s’effectuait avec de la poudre d’agate (paniya bhata) provenant du Gujarat que l’on frottait sur les murs pour les polir et les faire briller comme des miroirs.
Cet enduit à base de chaux assurait là aussi une bonne conduction de la chaleur pendant l’hiver et minimisait les surchauffes pendant l’été ; il améliorait surtout l’évaporation de l’humidité évitant ainsi les remontées capillaires. Cette dernière qualité, la perspirance, est propre à la chaux qui, du fait de sa microporosité, a la faculté de laisser circuler une grande quantité de vapeur d’eau au travers de la paroi sans la dégrader.
La chaux est également imperméable à l’eau et protège les murs des intempéries ; dans la région du Shekhawati, elle était aussi appliquée sur les murs extérieurs des havelis et recouverte ensuite de somptueuses fresques.
Le toit des havelis est généralement plat doté là aussi d’une large épaisseur, environ 50 cm. Le coffrage du toit était traditionnellement en bois, c’est le cas des havelis d’Udaipur. Le bois étant un mauvais conducteur, il limite l’accumulation de la chaleur tout au long de la journée. Pour la même raison, les havelis du Shekhawati ont le coffrage enduit de chaux.
On trouve également des fenêtres en haut des plafonds des demeures qui, combinées aux autres ouvertures, permettait une aération naturelle dans les pièces.
On l’a vu plus haut, la caractéristique de l’haveli du Rajasthan est de posséder des balcons et des loggias en encorbellement. Si ceci ajoute sans contexte à l’esthétique de l’édifice, ils permettent surtout, grâce à leur profondeur, de minimiser les rayonnements solaires en été et au soleil d’hiver de pénétrer à l’intérieur.
Ces ouvertures étaient obturées à l’aide de volets en bois épais ou de matériaux à faible capacité thermique.
Les balcons et fenêtres des havelis du Rajasthan sont généralement dotés de « Jalis », des cloisons ajourées en pierre ou en bois. Cette forme de claustra que l’on retrouve aussi dans tout le Maghreb sous le nom de « moucharabieh » servait essentiellement à dérober les femmes aux regards, car, de ces fenêtres, on peut voir sans être vu.
Les jalis permet également une bonne ventilation naturelle : le maillage serré de la cloison a pour effet d’accélérer le passage du vent et, en combinaison des autres ouvertures de la pièce judicieusement placées, elle permet de diffuser une brise légère très appréciée pendant les étés caniculaires.
Dans l’haveli, les vérandas sont situées tout autour de la cour. Elles ont un aspect social et fonctionnent comme un espace de transition entre l’extérieur et les espaces privés. Elles fournissent de l’ombre et protègent les pièces attenantes des rayonnements solaires directs.
La hauteur de plafond dans un haveli peut aller jusqu’à 5 m. Cela permet à l’air chaud de s’élever en été et de retarder le temps de chauffe grâce au volume important de la pièce. Si, de plus, le plafond est pourvu d’un panka*, l’air chaud estival, est éliminé via les fenêtres et redescend en hiver pour chauffer les résidants.
*Un panka est un large éventail en toile suspendu au plafond et eactionné à la main par l’internédiaire d’une corde.
merci pour cet article très intéressant, je vous suis depuis plusieurs années. merci pour ce site remarquable, Helena
Merci Helena ! Bien cordialement, Mathini