Les peuples autochtones de l’Inde (adivasi) sont souvent les gardiens de traditions aux origines lointaines se manifestant lors de festivals qui nous transportent littéralement dans un autre monde. Gavari fait partie de ces festivals. Opéra folk mystique des Bhils du Rajasthan, il s’exprime à travers plusieurs actes composés d’incantations, de chants sacrés, de satire sociale et de danses extatiques.
L’origine du Gavari (prononcer geuveuri, गवरी pour ceux qui déchiffrent le hindi) reste encore mystérieuse, certains pensent qu’il a peut-être été créé au 16e siècle en réaction à l’oppression des souverains rajpoutes, privant peu à peu le peuple Bhil de leurs terres ancestrales, d’autres estiment que ce festival est aussi ancien que le peuple Bhil lui-même, c’est-à-dire millénaire.
Le festival commence chaque année quelques jours après la fête de Rakhi (en août) et dure 40 jours.
Même si de nombreux caractères évoluent dans la pièce, Gavari est, en premier lieu, dédié à la déesse hindoue Gauri ou la « Shakti« , la force de création primordiale.
Spirituel et mythologique à la base, ce théâtre adivasi a su cependant évoluer en fonction du contexte de l’époque en incluant des aspects sociaux et politiques comme par exemple la colonisation britannique.
Ce festival est limité à la région du Mewar-Vagar et principalement aux districts d’Udaipur, de Rajsamand, de Chittor et de Dungarpur. Il regroupe jusqu’à une trentaine de communautés Bhils dispatchées en groupe de 20 à 50 membres qui partent en tournée dans différents villages de la région. Plus de 500 représentations ont lieu.
Avant tout chose, pour que Gavari ait lieu, chaque village doit recevoir la permission de la déesse Gauri qui intervient environ tous les cinq ans. Quand, après avoir invoqué la déité, un des villageois entre en transe, comme possédé par la Shakti, c’est alors le signe que le village a été choisi pour accueillir le festival.
La troupe fraîchement constituée, composée principalement d’agriculteurs et de fermiers Bhils, partira alors jouer dans une trentaine de villages et plus particulièrement dans ceux où les sœurs ou filles mariées des membres de la troupe demeurent. En Inde, les femmes partent vivre dans leur belle-famille après leur mariage, ce festival permet ainsi de maintenir et de consolider les liens familiaux.
Gavari c’est aussi un temps d’austérités pour les acteurs temporaires qui doivent s’abstenir de toute relation sexuelle, d’alcool et de nourriture non-végétarienne (et même de légumes verts) ; certains choisissent aussi de ne pas porter de chaussures et de dormir à même le sol. Ce sont des formes de purification que l’on retrouve dans plusieurs autres festivals hindous comme Navaratri ou bien Mahashivaratri.
La place du village fait office de scène ouverte circulaire. L’audience se regroupe tout autour.
Avant que ne commence la pièce de théâtre, un Bhopa (shaman) invoque Gauri par des prières et des poujas (rituels) par le biais d’une idole représentant la déité. Un Dhuni (feu sacré) est allumé et un Trishul (trident), symbole de la Shakti (et de Shiva) est placé au centre de la scène, après quoi différentes offrandes sont effectuées.
La pièce se compose d’une quinzaine d’actes et peut durer jusqu’à 5 heures par jour enchaînant incantations, mimes, parodies, chants de dévotion et danses extatiques, avec le maddal (tambour), le thali (gong) et des cymbales comme seuls instruments.
Mise à part le début et la fin de la pièce, le contenu n’est pas fixe (il n’y a pas de script), mais en constante évolution et compte sur le don d’improvisation de chaque acteur.
Les derniers jours de la tournée, la pièce dure jusqu’à tard dans la nuit. Les quarante jours se finissent par une cérémonie de « visarjan » lors de laquelle la statue de Gauri est immergée.
Cet opéra folk est composé d’une multitude de personnages : on y trouve des humains (membres de différentes tribus, politiciens corrompus, colons britanniques, rajpoutes…), des déités, des démons et des animaux.
Parmi ces caractères, trois tiennent les rôles principaux : les deux « Mata Rai » et le « Budiya ».
Les deux Mata Rai, qui représentent les déesses Parvati (parèdre de Shiva) et Mohini (seul avatar féminin du dieu Vishnou), s’assoient généralement au centre du cercle formé par la troupe. Elles sont incarnées par des hommes portant un turban serré englobant une grande partie du visage, un peu à la façon d’un tagelmust de Touareg.
De chaque côté de leur visage, pendent deux longs bijoux-chaînes en argent, une caractéristique typiquement tribale et un maang-tikka est posé sur le front, probablement un héritage rajpoute. Les « Rai » sont assurément les personnages les plus énigmatiques de la pièce.
Le Budiya incarne Bhashmasur, un être mi-dieu, mi-démon qui est le seul personnage de Gavari à porter un masque. Ce dernier est généralement de forme ovale ou ronde (mais on en trouve aussi des rectangulaires) avec des cheveux et une moustache en crin de cheval. Chaque masque de Budiya est unique et considéré comme hautement sacré ; il se transmet de génération en génération au sein du village.
La légende raconte que le démon Bhashmasur était un fervent fidèle du Seigneur Shiva. Ce dernier, en récompense de sa dévotion, lui accorda le pouvoir de tuer par le feu toute personne sur la tête de laquelle il poserait sa main. Mais, Bhasmasur étant un démon, il abusa de ce pouvoir et tua de nombreuses personnes innocentes sur la terre. Pour l’arrêter dans sa folie meurtrière, le dieu Vishnou, le protecteur de l’univers, se transforma en danseuse Mohini et alla voir le démon. Fasciné par la beauté de la déesse, il commença à imiter ses gestes de danse, jusqu’à ce qu’elle pose sa main sur sa tête… Il mourut sur-le-champs. L’âme du démon implora alors Shiva de le pardonner et, en retour, le seigneur du mont Kailash lui accorda le droit d’être vénéré lors du festival de Gavari.
Le Budiya, armé d’un bâton sacré en bois, le « Chhari » a la tâche de faire le tour de la scène en direction opposée du cercle d’artistes pendant les invocations d’ouverture pour empêcher les intrusions extérieures. Il se tient ensuite périodiquement aux abords du cercle pour accepter des offrandes au nom de la troupe et conférer des bénédictions.
Ce qui nous frappe la première fois qu’on assiste au Gavari, ce sont les hommes parés de bijoux de femmes, leur donnant une apparence qui n’est pas sans rappeler les hijras, les personnes transgenres en Inde.
Mais, ici, rien à voir avec les hijras. En réalité, les femmes étant exclues des performances de Gavari en raison principalement de leurs menstruations (souvent perçues comme impures en Inde) qui interviennent forcément pendant les 40 jours de la tournée, les hommes endossent alors les rôles féminins de la pièce.
Cette forme de discrimination est rare chez les peuples autochtones qui forment généralement une société égalitaire. Est-ce un ajout à posteriori de l’hindouisme brahmanique ou bien l’intégration dans les coutumes Bhils de la culture rajpoute très patriarcale, qui, autrefois, interdisait aux femmes de se montrer en public ?
Les deux autres personnages récurrents de la pièce sont les Meenas et les Banjaras. La communauté Meena fait aussi partie des adivasis de l’Inde, connue pour ses audacieux guerriers, vivant dans les monts Aravallis du Rajasthan.
Les Banjaras quant à eux, sont ce qu’on appelle populairement des « gypsies » ; un peuple nomade à l’origine, commerçants réputés et transporteurs de marchandises dans les régions intérieures de l’Inde. Lors de leurs pérégrinations, et plus précisément, quand ils devaient traverser la jungle épaisse des monts Aravallis, les Meenas assuraient leur protection. En échange, les Banjaras leur versaient une taxe appelée « vallavi ».
La plupart du temps, les Banjaras ne s’opposaient pas à cette taxe, mais parfois, ils rechignaient à payer, s’en suivait alors des échauffourées qui sont retranscrites dans le Gavari.
Comme c’est le cas pour beaucoup d’arts traditionnels en Inde qui ont tendance à se fondre dans une masse de plus en plus uniformisée, le théâtre Gavari pourrait bientôt être classé comme un art « en voie d’extinction ».
Il y a plusieurs raisons à cela.
La scolarisation, qui s’est largement étendue en Inde (et c’est une grande avancée), pénalise paradoxalement la transmission de cet art scénique. Le Gavari ne s’apprend pas dans les livres, mais sur le terrain. Or, rares sont les écoles qui permettent aux enfants Bhils de s’absenter pour prendre part aux représentations.
De plus, cet art n’étant ni rémunéré, ni vraiment mis en valeur, peu de jeunes sont intéressés pour reprendre le flambeau, davantage attirés par le chant des sirènes des mégapoles.
Fort heureusement, depuis quelques années, certains groupes ont décidé de prendre les choses en main. Les Bhils eux-mêmes tout d’abord qui se sont regroupés ainsi que des ONG locales.
En 2016, le programme gouvernemental « Rediscovering Gavari » (redécouverte du Gavari) a été créé permettant à 12 troupes de venir jouer le Gavari dans différents lieux emblématiques d’Udaipur. Ceci a permis aux touristes nationaux comme internationaux de découvrir ce théâtre hors normes.
Pour mieux protéger cet héritage adivasi, ces mêmes groupes militent pour que le Gavari soit classé « patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO » comme l’est par exemple la musique Baul du Bengale Occidental.
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Bonsoir
Encore un beau reportage merci beaucoup
Mathini Travel
Cordialement
merci Ady pour tous vos sympathiques commentaire 🙂