Than Jagir, le monastère des yogis « aux oreilles fendues »

Than Jagir, posé aux pieds des collines volcaniques de Dhinodhar (Kutch), est un de ces endroits en Inde qui vous laisse une impression mystérieuse et magique indélébile. Ce monastère hindou de plusieurs centaines d’années est le fief de l’ordre des Kanphatas, les intrigants yogis tantriques « aux oreilles fendues ».

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Un berger Rabari avec son troupeau et, en arrière plan, les collines de Dhinodhar pendant la mousson

La route qui nous mène au monastère de Than traverse des paysages arides où l’on ne croise personne si ce n’est quelques bergers Rabari marchant aux côtés de leur troupeau. Le monastère se tient aux pieds des collines de Dhinodhar qui sont en réalité un ancien volcan éteint de 390 m d’altitude, à une heure au nord-ouest de Bhuj, le chef-lieu du district de Kutch.


Origine du monastère & les yogis Kanphata


Le monastère de Than a été établi par le maître yogi Dhoramnath. La légende raconte que le saint homme s’est tenu en posture de Sirsasana (sur la tête) pendant 12 ans au sommet des collines de Dhinodhar, en pénitence d’une malédiction. Poussé par les dieux à cesser cette ascèse, il accepta à condition que ce que ses yeux verraient en premier deviendrait stérile. C’est ainsi que le Rann of Kutch, le grand désert de sel du Gujarat, a été créé.

Statue de Gorakhnath effectuant une méditation yogique dans le temple de Laxmangarh (Rajasthan) | Photo : Anandanath

Than Jagir abrite l’ordre des « Kanphata » fondé par Gorakhnath. On dit que Dhoramnath, son disciple, introduisit ses doctrines à Kutch à la fin du 14e siècle EC.

Gorakhnath, qui vécut entre le 11e et 12e siècles EC, est un des « Adi-Guru » (premiers maîtres) du courant Nath. Le Nath désigne une tradition initiatique très stricte de yogis liée aux shivaïsme tantrique. On attribue au Nath le développement du Hatha Yoga ainsi que des pratiques ésotériques qui leur permettraient de posséder des facultés particulières*. Ils se distinguent par là même des saddhous qui suivent la seule voie de la « bhakti » (dévotion).

* En écrivant ces quelques lignes sur les Naths et leurs pouvoirs, me revient à l’esprit ces yogis Nath justement qui ont frappé à ma porte à Udaipur pendant les festivités de Holi. En échange d’une aumône, ils m’ont décrit plusieurs aspects de ma vie que personne d’autre ne pouvait connaître. Il en fut de même pour mon mari. Mentalistes ou réel don de voyance, cette anedocte reste néanmoins troublante.

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Les yogis Kanphata | Photos : Matt Hahnewald Photography / Alamy Stock Photo

Les Kanphata Yogis, qui font partie d’une des branches du Nath, se distinguent par de larges anneaux d’oreilles qui distendent leurs lobes ; de là provient leur nom de « Kanphata », qui signifie « oreilles fendues ». Ils sont aussi appelés « yogis tantriques », en raison de leurs pratiques secrètes.

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Le yogi Kanphata en chef du monastère de Than (au milieu) et ses disciples | Photo : John Steedman
Le lieu des rituels des yogis

L’architecture de Than Jagir


L’entrée principale du monastère de Than

Than Jagir est conçu comme un petit palais-fort de style rajpoute ceinturé par deux murailles. L’entrée elle-même, avec ses meurtrières et ses tours de guets, a tout d’une forteresse.

La deuxième muraille extérieure du monastère

Quand j’y suis retournée en mars 2023, une grande partie du monastère venait d’être restaurée et repeinte dans des couleurs (un peu trop) vives. Le lieu qui, avant, avait tout d’un village fantôme devient tout d’un coup bien vivant… Et mon reportage obsolète !

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Détails du monastère avec ses arches, ses jalis et ses balcons avant sa restauration, un petit côté vintage et mystérieux que j’adorais
Le même lieu après sa restauration… Plus vivant certes mais adieu l’authenticité !

La restauration, et c’est bien dommage, a été bâclée. Le peintre s’en est donné à coeur joie avec les couleurs qui viennent masquer une architecture d’exception ; on a peine à retrouver les beaux jalis scupltés (panneaux en pierre) et les jharokhas (balcons en encorbellement).

Exemple de Balcon jharokha de style rajpoute
Le temple du monastère

Heureusement, quelques édifices ont échappé à la folie coloriste des peintres et sont d’autant plus appréciés.

Un des édifices avec son charme d’antan

Les peintures murales de type Kamangiri ont été aussi épargnées et cela nous laisse imaginer combien le lieu devait être prospère au plus fort de sa popularité.

L’art Kamangiri, maintenant éteint, est une forme de peinture murale qui s’est principalement développée dans la région de Kutch au 18e siècle. Il était à l’origine effectué par des artistes musulmans qui, formés à la tradition hindoue, étaient patronnés par la communauté locale des Bhatias (commerçants rajpoutes). Un bel exemple de tolérance religieuse qui régnait dans cette région à cette époque.

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Peinture Kamangiri du monastère de Than illustrant la vie du seigneur Krishna
Kamangiri dans le « MacMurdo’s Bungalow » à Anjar (Kutch)

En marchant près des murailles du monastère, nous tombons sur une myriade de pierre posée au sol enduites sur leur partie supérieure de peinture orange. A première vue on pense à des Shiva-lingams. Ce sont en fait des mémoriaux dédiés aux yogis Kanphata décédés.

Les pierres en mémoire des yogis Kanphata décédés
Autre partie non restaurée du monastère avec ses pierres tombales

Les pratiques yogiques Kanphata se poursuivent encore de nos jours dans le monastère notamment pendant le festival de Navaratri, lorsque le moine en chef reste assis en méditation pendant neuf jours et neuf nuits sans nourriture ni eau. Un autre exemple du pouvoir de la sadhana (pratique spirituelle) de ces yogis particuliers.

Vue sur le monastère Than (avant sa restauration) depuis le chemin de trek qui mène au temple de Dhoramnath

Le temple de Dhoramnath


Un temple en l’honneur du maître yogi Dhoramnath a été édifié tout en haut des collines de Dhinodhar, là où rappelez-vous, le saint a fait sa pénitence de 12 années.

Cependant, ce lieu se mérite, il nous faut grimper 1000 marches aller-retour sur l’autre versant du volcan pour pouvoir le visiter ou bien faire une randonnée à partir du monastère de Than à travers un sentier accidenté. Évitez à tout prix la saison estivale ! Préférez l’après-mousson ou l’hiver.

Les collines de Dhinodhar avec, tout en haut, le temple-samadhi du saint Dhoramnath

Le sanctuaire accueille un groupe de temples dédiés à Shiva et à d’autres déités hindoues, y compris le saint des saints : le temple du yogi Dhoramnath.

L’ensemble est plutôt banal, un peu trop peinturluré à mon goût et sans comparaison avec l’ineffable monastère de Than ; par contre la vue panoramique sur cette région désertique est splendide.

Le groupe de temples de Dhinodhar
Le saint des saints, le temple dédié à Dhoramnath

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