Dussehra, qui se tient après les neuf jours du grand festival de Navaratri, est généralement lié au Ramayana, la grande épopée hindoue et plus précisément avec le chapitre où le Seigneur Rama terrasse le démon Ravana. Cependant, le festival de Dussehra de la région du Bastar dans l’état de Chhattisgarh est totalement unique : il est dédié à Devi Danteshwari, la déesse native de la région et puise ses racines et son originalité dans la culture des peuples autochtones.
Outre son caractère ethnique, le festival du Bastar possède une autre particularité : il dure 75 jours, c’est l’un des plus longs au monde. Il commence lors d’Amavasya, la lune sombre du mois de Shravan et se termine le treizième jour de la lune brillante du mois d’Ashwin. Ceci correspond à peu près à la période de juillet à septembre dans notre calendrier grégorien.
Danteshwari est un avatar de la déesse Durga et l’une des très vénérées Shakti Peetha. Les autochtones ont intégré cette divinité hindoue en même temps que leurs déités locales appelées « Anga Deo » (voir plus bas).
Selon une légende locale, elle aurait sauvé le roi du Bastar de ses assaillants en le protégeant dans une forêt. Depuis, Danteshwari est la déesse tutélaire de la famille royale du Bastar.
La tradition du Dussehra du Bastar remonterait au Maharaja Kakatiya Purushottam Deo (descendant de la grande dynastie Chalukya) : il aurait marché pendant un an en prosternation pour se rendre au temple de Jagannath à Puri et honorer le seigneur Krishna.
Le dieu au visage sombre fut satisfait de la pénitence du roi et, en récompense, il lui offrit un char à 12 roues pour le voyage de retour. En chemin, ce char se brisa en deux et donna un char à huit roues et un autre à quatre.
Dès lors, la tradition du « Rath Yatra » du Bastar (procession des chars) ou Bheetar Raini dans le language local, s’est mise en place : les deux chars qui défilent dans les rues de Jagdalpur sont censés être des répliques de ceux donnés par le seigneur Krishna au roi Kakatiya Purushottam Deo.
Cette coutume, d’origine hindoue, a ensuite été incorporée à celles des tribus locales.
Pendant le festival de Dussehra, toutes les tribus de la région du Bastar se rassemblent à Jagdalpur, la capitale administrative du Bastar, accompagnées de leurs divinités locales qui sont représentées par des sortes de palanquins en bois appelés « Anga Deo ».
Ces déités sont les formes primitives des idoles religieuses, se rapprochant des pratiques animistes.
Lors du Bheetar Raini, le jour de la procession du grand char, les Angas (sortes de shamans) portent ces divinités sur leurs épaules et, au son ensorcelant des percussions et des clarinettes-moharis, ils effectuent des mouvements de transe.
Ces danses extatiques, fortement aidées par les alcools locaux comme le Malpua ou la Salphi, ont pour but de chasser les mauvais esprits.
Bien que le festival dure 75 jours, les 10 derniers jours (correspondant au Navaratri commun) sont les plus importants et plus particulièrement les deux derniers quand un lourd char tiré par des centaines d’hommes parcoure les rues de Jagdalpur.
Voici, les principales étapes (liste non exhaustive) de ce festival unique en son genre.
Le festival commence par le rituel de Paath Jatra, le jour d’Hariyali Amavasya (« Amoos Teehaar » dans le language local), du mois de Shravan, dédié au dieu Shiva (en juillet dans le calendrier grégorien). Hariyali Amavasya est considéré comme un jour de très bon augure et célèbre l’arrivée de la mousson.
Ce jour-là, un tronc de sal, un des bois de charpente les plus utilisés en Inde, est coupé dans les forêts environnantes et amené devant le temple de la déesse Danteshwari. Plusieurs rituels sont alors effectués sur ce tronc dont des sacrifices de chèvres*.
Cette cérémonie du tronc, non seulement inaugure le festival, mais servira aussi à la fabrication de certains outils en bois pour la construction du grand char qui déambulera les deux derniers jours du festival (voir plus bas).
*Les sacrifices d’animaux restent encore en vigueur en Inde, même s’ils sont de plus en plus décriés. Ils sont surtout effectués lors de rituels tantriques dans certains temples dédiés à la déesse Durga comme à Guhawati ou Kolkata.
Le sal, vivant principalement dans des forêts humides tropicales, est non seulement un bois de charpente, mais aussi un arbre sacré en Inde. On raconte que le Bouddha méditait dans une forêt de sals près de Kushinagar au moment de son Parinirvana (sa mort physique) et que les fleurs de cet arbre sont tombées en signe d’hommage, recouvrant totalement son corps. Dans le jaïnisme, on dit que le tirthankara Mahavira, une des saints majeurs de cette religion, a reçu l’illumination spirituelle sous un sal.
La cérémonie du « Kachan Gadi » est considérée comme étant une autorisation symbolique des divinités pour commencer le festival.
Elle a lieu dans un ancien temple dédié à la déesse Kachan. Le Maharaja du Bastar, accompagné d’une procession, se rend sur place pour demander à la déesse de bénir le festival.
Cette bénédiction se fait par l’intermédiaire d’une jeune fille de la tribu des Mirgin-Mahara qui entre en transe sur une balançoire faite de bois et de ronces. Elle devient en quelque sorte l’incarnation de la déesse Kachan Devi et donne au Maharaja sa permission pour procéder aux festivités.
Lors de cette journée, un jeune de la tribu Muria est désigné pour s’asseoir dans une fosse près du palais de Jagdalpur ; il va alors entreprendre un jeûne de neuf jours. Cette pénitence vise à assurer le bon déroulement du festival.
Nisha Jatra est un rituel effectué au temple de Danteshwari du palais de Jagdalpur. En soirée, le maharaja et les prêtres du temple viennent vénérer les armes de la déesse Danteshwari puis douze hommes apportent des offrandes dans des pots en terre.
Le neuvième jour, le jogi rompt son jeûne et est honoré pour son effort ; cette cérémonie est appelée Jogi Uthayee c’est-à-dire, « le lever du jogi ».
Ce même jour a lieu le rituel de Mavli Parghav : la déesse Mavli quitte son temple de Dantewada et est amenée sur un palanquin jusqu’à Jagdalpur. Elle est accueillie par le roi en grandes pompes.
C’est l’occasion de voir aussi les tribus Dandami Maria effectuant leur fameuse danse du bison.
Bheetar Raini est le point d’orgue des festivités de Dussehra Bastar : c’est le moment où la déesse Danteshwari est emmenée en procession à travers la ville sur le grand char à huit roues, tiré par la tribu des Dandami Maria.
L’ambiance est frénétique et un peu folle, particulièrement quand les Angas surgissent avec les Anga Deo… Mieux vaut ne pas se trouver sur leur chemin !
Quand la circumambulation dans Jagdalpur est terminée, le grand chariot est « volé » par une centaine de d’hommes des tribus Marias and Murias et est amené à Kumdakot situé à quelques kilomètres de la ville.
Chaque année, un nouveau Rath (char) à deux étages est préparé pour le festival, il est construit en bois de sal.
Chaque tribu a un rôle bien spécifique dans la construction de ce char. Par exemple, les charpentiers viennent du village de Beda Umargaon et la construction du char est exclusivement faite par les Saoras.
Le char est ensuite tiré par les tribus bison-marias de Killepal.
Le lendemain de Bheetar Raini, le roi et ses ministres se rendent à Kumdakot pour récupérer le char qui a été « confisqué » la veille.
Le Maharaja visite tout d’abord une petite hutte en bois pour offrir à la déesse du riz cuit provenant de la nouvelle récolte. Après cela, le char est tiré cérémonieusement jusqu’à la porte du palais de Jagdalpur.
Après cet incroyable festival, il est temps de dire adieu lors de la cérémonie de KUTUMB JATRA (adieu aux divinités) : les déités locales des diverses tribus du Bastar font cérémonieusement leurs adieux.
Un petit sanctuaire est créé avec des feuilles de bananier, des fleurs et des offrandes. A minuit, la suprême divinité, Danteshwari Devi, repart dans son temple à Dantewada.
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