Hormis son « Rann », le grand désert de sel, Kutch, un district au nord-ouest du Gujarat, possède bien d’autres petits trésors qui valent, rien qu’à eux seuls, une visite dans la région. J’ai retenu pour cet article huit temples historiques, peu connus des voyageurs, qui témoignent, encore une fois, de la richesse et de la diversité culturelle de ce coin de l’Inde.
Situé à 20 km au sud de Kutch, en direction de Mundra, le petit village de Kera est réputé pour son temple Lakheshwara dédié à Shiva. Peu de voyageurs s’y arrêtent, le taxi qui m’y emmenait n’en avait même pas connaissance.
Bien que sévèrement endommagé par les tremblements de terre de 1819 et 2001, cet ancien sanctuaire du 10e siècle construit sous le règne de Lakho Phulani* garde encore quelques éléments architecturaux intéressants.
*Lakho Phulani fut, au 10e siècle, le souverain du Sindh (situé maintenant au Pakistan), du district de Kutch et la péninsule de Saurashtra. Il fera de Kera sa capitale en y construisant un fort et ce temple.
Le temple est posé sur une plateforme, on y accède par une volée de marches. Il ne reste de Lakheshwara que le Garbhagriha (le sanctuaire) qui abrite un Shiva-lingam et une partie de la Shikhara (la flèche). On peut observer que cette dernière est finement exécutée avec des formations sculpturales se répétant les unes au-dessus des autres de façon pyramidale.
Les murs extérieurs du sanctuaire exhibent de nombreuses sculptures de femmes, probablement des Apsaras, les nymphes célestes ainsi que les demi-dieux Yakshas, esprits de la nature.
Situés à l’extrême Ouest de Kutch, Narayan Sarovar et Koteshwar sont deux hauts lieux de pèlerinage hindous qui ne figurent pourtant que très rarement sur les itinéraires touristiques.
Narayan Sarovar revêt une importance particulière, car c’est un des 5 lacs sacrés de l’hindouisme, avec Mansarovar au Tibet, Pampa Sarovar près de Hampi (Karnataka), Bindu Sarovar à Bhuvaneshwar (Odisha) et le lac de Pushkar au Rajasthan ; l’endroit est donc considéré comme de bon augure pour les « Snan », les ablutions et bain rituels.
L’origine du Narayan Sarovar remonte aux Puranas. On dit que la région était en proie à une sécheresse et que le dieu Vishnou apparut en réponse aux prières ardentes des sages. Quand il toucha la terre de son orteil, un lac fut immédiatement créé, soulageant ainsi les habitants de leur misère.
Autour de ce lac, plusieurs temples ont été construits par l’épouse du Maharao Desalji : Trikamraiji, Laxminarayan, Govardhannath, Dwarkanath, Adinarayan, Ranchodrai et Laxmi.
À une courte distance du lac (2 km environ), surplombant une mer houleuse, se trouve le temple Koteshwar Mahadev dit « temple aux dix millions de dieux », dédié à Shiva.
L’histoire de Koteshwar est liée au Ramayana, la grande épopée indienne. On dit que Ravana, le roi-démon du Sri Lanka, avait reçu des mains du dieu Shiva un lingam suite à d’intenses ascèses. Ce lingam avait le pouvoir de rendre immortel, aussi Shiva demanda à Ravana d’en prendre grand soin. Cependant, Ravana dans sa hâte, laissa accidentellement tomber le lingam sur terre, à Koteshwar précisément.
Cette négligence outra tellement le seigneur Shiva que, pour le punir, il dupliqua le lingam en million d’autres identiques, d’où le surnom du temple. Incapable de distinguer le lingam original, Ravana attrapa un lingam au hasard et partit pour Lanka laissant le vrai lingam à Koteshwar, autour duquel a été construit le temple actuel.
Mata No Madh est aussi un lieu spirituel de grande importance, car on dit que c’est le temple originel de la déesse Ashapura, avatar d’Annapourna Devi. Elle est vénérée en tant que Kuldevi (sainte patronne) de la famille royale Jadeja de Kutch et c’est aussi la principale divinité gardienne de la région.
Si les traces écrites de la construction du temple remontent au 14e siècle EC, on pense que le culte de la déesse Ashapura dans ce sanctuaire trouve son origine dans l’Inde antique ; les Puranas ainsi que le Rudrayamal Tantra y font référence à plusieurs reprises.
Il y a diverses légendes liées à cette divinité. La version la plus connue raconte qu’il y a environ 1500 ans, un marchand Marwari du Rajasthan visitait Kutch pendant la période de « Navaratri » (les neufs nuits consacrées à la Mère Divine) pour y vendre ses marchandises.
Alors qu’il dormait, il vit la déesse Ashapura dans un rêve qui lui demandait de construire un temple à l’endroit où il s’était arrêté. Cependant, la déité avait donné une injonction spécifique qui était qu’après la construction du temple, ses portes devaient rester fermées pendant six mois, date à laquelle la Shakti s’y établirait.
Mais, quelques semaines avant l’expiration des six mois, Devchand, le marchand, entendit de la musique céleste dans le temple. Il résista un certain temps, mais piqué par la curiosité, il finit par ouvrir les portes du sanctuaire avant l’installation complète de la déesse. C’est pour cela qu’on trouve la divinité actuelle assise sur ses genoux, n’ayant pas eu le temps de se relever.
La statue d’Ashapura Mata dans ce temple est d’aspect plutôt intrigant avec sept paires d’yeux, une des caractéristiques de la déesse.
Temple tantrique oblige, il était autrefois de coutume pour les Maharao (rois) de Kutch de sacrifier sept buffles mâles. Cette pratique s’est arrêtée en 1948. Par contre, de l’alcool lui est toujours offert, un rituel commun à plusieurs temples dédiés à la Shakti dans le nord de l’Inde.
Le temple est dirigé par un « Mahant », un prêtre hindou, qui appartient à un ordre monastique du nom de Kapadi. Les Kapadi Sampradaya prétendent être les descendants de Lalu Jasraj, un ermite qui a servi de guide au dieu Rama pour traverser le rude désert du Thar.
Mata No Madh est à l’honneur pendant la période de Navaratri, celle de « Chaitra » (avril/mai) et de « Ashvin » (septembre/octobre). Le Mahant, en effet, jeûne pendant les neuf jours et effectue la cérémonie du feu (havan) le septième jour à minuit. Le lendemain, la puja principale est exécutée par le Maharao ou tout autre membre mâle de l’ancienne famille dirigeante de Kutch.
En 2021, fait historique, c’est la Maharani Preetidevi de Kutch qui a effectué la puja-patri, son époux le Maharao Pragmalji III étant décédé cette même année sans nommer d’héritier. C’est la première fois qu’une femme accède à la fonction de Pujari dans ce temple. Cette petite révolution au sein de la société hyper patriarcale Rajpoute a fait grand bruit si bien que l’affaire a été portée devant les tribunaux qui ont tranché en faveur de la Maharani en stipulant, je cite : « qu’il n’y a aucune raison pour laquelle ce rituel serait interdit aux femmes ». Une décision qui, je l’espère, fera « boule de neige ».
Les collines de Dhinodhar qui sont en réalité un ancien volcan éteint abritent deux lieux d’intérêt : le temple de Dhoramnath et le mystérieux monastère de Than lié aux yogis tantriques Kanphata…
LIRE LA SUITE +Les Jakhs Botera sont des temples spécifiques à la région de Kutch qui sont dédiés au culte de soixante-douze guerriers, ou plus exactement, soixante et onze hommes et une femme, Sayari, qui est leur sœur.
L’origine des Jakhs Botera est floue et les histoires, par conséquent, multiples. La tradition populaire décrit les Jakhs comme des guerriers étrangers qui combattirent le maléfique roi Punvaro. Les Jakhs auraient fait naufrage sur la côte de Kutch à l’endroit maintenant connu sous le nom de Jakhau. On raconte que ces guerriers étaient grands, de carnation claire et possédaient une culture avancée. On leur prête des pouvoirs surhumains. Certains historiens les lient à la Perse, d’autres à l’empire Byzantin ou à la Syrie
LIRE LA SUITE +Kotay, à 1 h au nord de Bhuj, comprend les vestiges d’une ancienne ville et d’un temple du soleil datant peut-être de la première partie du 10e siècle EC. Connu aussi sous le nom de Ra Lakha, le sanctuaire même poli par le vent chaud du désert présente encore de beaux atouts.
Le temple de la déesse Ravechi est situé dans le village de Rav Nani, à 3 h à l’Est de Bhuj, posé au bord d’un étang recouvert d’un tapis de lotus. Bien que sa dernière construction remonte à 1821, ce haut lieu de pèlerinage est déjà mentionné dans les écrits anciens et on dit que le temple originel aurait été érigé par les frères Pandavas de l’épopée du Mahabaratha.
Ravechi est un autre nom de la déesse Ashapura. Ici, l’image de la déesse du temple est dite « Swayambhu » c’est-dire qu’elle s’est auto-incarnée. Elle est entourée de plusieurs autres divinités qui semblent être elles aussi imprimées dans la roche. Une lampe éternelle, Akhand Jyoti Dipika, brûle à leurs côtés.
Ravechi est également connu pour son « Gaushala » où environ 2500 vaches résident, mais surtout pour sa grande foire du même nom qui a lieu en septembre de chaque année et qui réunit plusieurs communautés autochtones de Kutch en tenues traditionnelles comme les Ahirs, les Rabaris, les Charans, entres autres. Un festival haut en couleur qui fait le bonheur des photographes du monde entier.
Vrajvani Dham, situé à Rapar Taluka, est un temple très vénéré, tout particulièrement par la communauté Ahir. Ce sanctuaire est unique dans le sens où il abrite 140 statues grandeur nature de femmes Ahir s’inclinant devant le Seigneur Krishna.
La légende de Dholithar no Dhoro (du batteur de Vrajvani) raconte qu’il y a quelques centaines d’années, lors de la célébration de Janmastami, un jeune homme a commencé à jouer du Dhol (percussion indienne) dans un village. Cent quarante femmes de la communauté Ahir, irrésistiblement attirées par le son du tambour, se mirent à danser en cercle autour du musicien, au rythme de la percussion. La performance continua sans interruption pendant des jours et des jours…
LIRE LA SUITE +